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pays, et qui est raconté là avec des détails nouveaux, des vues nouvelles et un très juste sentiment de la réalité et de la portée des faits ; nous voulons parler de la lutte soutenue, par le parlement de Rennes à propos de l’affaire de M. de La Chalotais. Cette affaire est trop connue pour qu’il soit besoin d’en rappeler ici tous les détails ; mais, en la présentant comme l’un des préludes de la révolution française et en l’étudiant principalement de ce point de vue, M. Marteville a su mettre en relief des faits trop souvent méconnus par les historiens de cette révolution. La lutte commencée par le parlement de Rennes pour une question d’impôts se complique, au milieu du XVIIIe siècle, d’une lutte non moins grave contre la société de Jésus. Le parlement, appelé à Paris, auprès du roi, répond aux remontrances du monarque par une démission en masse. Le 10 novembre 1765, La Chalotais, son fils et trois autres conseillers sont arrêtés ; une haute cour de justice est installée, au palais de Rennes, et les accusés, après un assez long procès, sont conduits en exil à Saintes. L’opinion publique s’émeut en leur faveur, et Louis XV, pour conjurer le mécontentement, déclare, par lettres patentes, qu’il ne veut point trouver de coupables, et lève l’arrêt d’exil. La Chalotais repousse avec fierté ce pardon du roi, il proteste contre la clémence ; au nom de la justice, il refuse d’être déclaré innocent par un acte d’autorité souveraine, et demande à être jugé tel d’après les formes légales. Dès ce moment, les plus hautes questions politiques furent soulevées par la magistrature française. On demanda d’abord si le roi avait le droit d’intervenir directement dans une affaire de procédure. Les parlemens du royaume répondirent par la négative, en définissant nettement la séparation des pouvoirs, et, ce premier point une fois posé, on en vint bientôt à discuter le pouvoir royal lui-même, à rechercher son origine, à marquer ses limites. Le parlement de Rouen déclara que « le roi ne peut prononcer juridiquement la condamnation ou l’absolution de ses sujets ; » le parlement de Paris, que « la volonté des rois doit être contrôlée avant d’être acceptée par les peuples, et qu’on ne doit l’accepter que d’autant qu’elle est juste. » Le parlement de Normandie fit la leçon à Louis XV en lui rappelant ces paroles de Henri IV : « La première loi du souverain est de les observer toutes. Il a lui-même deux souverains : Dieu et la loi. » Enfin le parlement de Rennes, qui se tenait toujours à l’extrême avant-garde, résuma toute la polémique dans des requêtes où se mêlaient les théories du Contrat social et la rigidité parlementaire, et dans lesquelles le mot sujet fut remplacé par le mot citoyen. Les parlemens furent dissous, mais déjà l’orage grondait sourdement, et, quelques années plus tard, le fils de La Chalotais allait mourir sur le même échafaud que Louis XVI.

M. Marteville a exposé avec un véritable talent toutes les péripéties de ce drame parlementaire où se posèrent les prémisses de la révolution, et nous ne doutons pas que, si l’on étudiait avec le même soin, sur tous les points de la France, la seconde moitié du XVIIIe siècle, on n’en tirât pour l’histoire générale d’utiles renseignemens. Il en résulterait évidemment, nous le pensons, la démonstration de ce fait, que si les dernières traditions du système féodal étaient odieuses aux populations, si le pouvoir royal lui-même était profondément déconsidéré, les vœux du pays cependant n’allaient point au-delà des réformes réclamées, en 88 et en 89, dans les cahiers des bailliages, des états provinciaux ou des états généraux. Il en résulterait encore l’assurance que le nivellement