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l’atmosphère de leurs parfums. Le pavé de marbre, toujours blanc, toujours frais, réfléchit comme un miroir les lilas et les myrtes. On se croit transporté par une bonne fée dans un de ces palais enchantés des contes arabes. Encore un pas et on est assis au milieu des merveilles fantastiques d’un Orient fabuleux. Montons ces degrés, soulevons cette élégante tapisserie ; nous entrons dans un appartement les yeux éblouis ont peine à s’ouvrir. La lumière du jour ne parvient à faire entrer quelques faibles rayons qu’au travers de vitraux coloriés et découpés en forme de fleurs. Le pied s’y appuie silencieusement sur d’épais et riches tapis. Tout dans ce charmant réduit invite à de doux songes. Un panneau se lève, une salle vous apparaît à demi éclairée par un jour bleuâtre : c’est le réduit le plus secret de la beauté. Le sybarite fondateur de cet ermitage, où mille voluptés se cachaient pour lui, y a enfanté les plus suaves créations, imaginé les plus subtils raffinemens de la jouissance. Dans un large bassin, toujours plein d’une eau limpide et profonde, se baignent seize cariatides en marbre, groupées par quatre et supportant quatre colonnettes de glace et d’or, le long desquelles se glisse une douce lumière. Sur sa nappe tranquille de larges nénuphars en cristal laissent échapper de leurs longs pistils de gracieux jets d’eau dont les gouttes éparpillées rafraîchissent la salle. Partout, de vives peintures. Des sculptures gracieuses, de riches mosaïques. Cent miroirs répètent les charmans détails de cet ensemble enchanteur. Le palais Amarat-Serpouchet est d’une date récente ; il fut construit par le prince Seïf-Oud-Dovlèt-Mirza, fils de Feth-Ali-Châh, qui eut en partage le gouvernement d’Ispahan. Le prince n’avait pas eu l’ambition de rivaliser avec les splendeurs de Châh-Abbas ; il n’avait pas visé aux grandeurs somptueuses de Tchehel-Sutoun. Homme de goût et de plaisir, épicurien de l’école de Hafiz, le châhzadèh avait conçu l’idée d’un paradis à son usage ; il l’avait réalisée. Entouré des ruines des Sophis, redoutant la tristesse des spectacles de dévastation et de misère qui se multipliaient en Perse, il avait réussi à les oublier en charmant ses yeux par tout ce que l’art et l’imagination pouvaient enfanter de plus délicat et de plus galant. Mais combien d’exactions furent le prix des plaisirs du prince ! Voilà ce que je ne sus pas et ce que pourraient dire les Ispahanis. Dépossédé, comme la plupart des princes de sa famille, par suite de la politique que crut devoir adopter Méhémed-Châh en montant sur le trône, le châthzadèh vit modestement aujourd’hui à Téhéran, rêvant avec tristesse à son délicieux Amarat.

Près de l’enceinte royale, au milieu de la grande avenue de Tchar-Bâgh, est encore un monument dont il faut dire quelques mots : c’est le dernier ouvrage des Sophis, une mosquée élevée par Châh-Sultân-Husseïn. Cet édifice, dont le dôme et les élégans minarets se mêlent aux têtes superbes des platanes, n’est pas exclusivement réservé à la