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couru à la loi du 31 mai par sympathie ou par raison, nous sommes seulement très persuadés qu’il comprend aujourd’hui que le rétablissement du droit désordonné de suffrage ne tournerait pas plus à son bénéfice qu’à celui de la France, et il n’a point d’ailleurs donné lieu de supposer qu’il pût jamais songer à séparer l’un de l’autre. Il est certain néanmoins que tout le monde n’a pas autour de lui un si juste sentiment de la vérité des choses. Le propre des politiques subalternes, c’est de trouver toujours des raisons d’état pour faire leur cour aux grands, et d’inventer des expédiens considérables à cette seule fin de s’imposer comme nécessaires. Il ne serait pas impossible que le président eût des amis dangereux qui lui répétassent que le cœur de la France est à lui, et que la passion qu’il inspire à la France est notre meilleur préservatif contre l’anarchie ; que d’en appeler hardiment à cette passion populaire, c’est le vrai moyen de paralyser les influences démagogiques. La France, hélas ! n’est folle de personne, elle ne sait que faire de son cœur, et depuis long-temps elle ne se marie plus par inclination. C’est une grande faute en politique de trop compter sur l’inclination publique, et surtout de compter sans son hôte. Un autre malheur des personnes puissantes est encore que ces amis dévoués les compromettent de leur chef par un excès de zèle qu’ils se figurent toujours qu’on leur pardonnera, et pour lequel ils ne demandent ni de permission ni d’excuse. On eût donc pu supposer, à de certaines publications, que le président ne voyait pas de mal à ce qu’on battit en brèche la loi du 31 mai. On ne ménageait pas les suggestions, peu s’en fallait, au dire des chroniqueurs, que le ministère ne fût intérieurement divisé sur cette loi fatale, et l’on nommait ceux des ministres qui n’avaient été introduits au pouvoir que pour la supprimer. Sur ces entrefaites est venue la déclaration de M. Baroche ; nous ne croyons pas nous tromper en pensant qu’il avait été chargé par ses collègues et par le président de la république de porter la parole au nom du gouvernement tout entier, afin que le désaveu fût plus efficace en étant infligé par celui des membres du cabinet auquel on prêtait le plus de relations avec ceux auxquels il l’infligeait. Il était du moins assez clair que M. Baroche tenait à formuler en toute franchise une opinion catégorique sur la loi du 31 mai, et il ne pouvait trouver d’occasion meilleure qu’en revendiquant l’apologie de la dépêche télégraphique de M. Faucher. L’apologie a été complète, et la base du ministère fortement assise sur un principe qui sert de digue contre le débordement du principe démagogique dans la constitution.

Ce serait fermer volontairement les yeux et s’abuser à plaisir que de chercher dans la pratique radicale du suffrage universel une voie de conservation. Nous l’avons dit bien des fois, le suffrage universel non mitigé ne saurait être qu’une arme agressive au milieu du déchaînement d’idées et de passions qui remue la société. Le suffrage politique exercé comme droit naturel de l’homme et non pas comme fonction relative du citoyen est incapable de rien édifier. Il est impossible que le suffrage universel réussisse beaucoup aux partisans de M. le président de la république, quand il est encore invoqué avec tant d’ardeur par les amis de M. Ledru-Rollin ; car nous le rappelons pour tous ceux qui ne se pressent pas de travailler aux solutions de 1852, on y travaille de reste à leur place. Les journaux rouges des provinces ne se font pas faute d’annoncer la