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modérer cet entraînement vers l’inconnu ; mais l’inconnu qui alarmait la sagesse, ou, si l’on veut, la défiance, n’avait rien qui effrayât la foule dans cette passion où l’avait jetée la violente envie d’un meilleur état. La foule ne se contente pas facilement d’être mal par crainte d’être pis ; elle va droit à l’opposé du côté où elle sent la souffrance, parce qu’elle s’imagine que le remède est-là et qu’elle l’y trouvera d’emblée. Les paysans et les manœuvres qui, se levant en masse au 10 décembre, votèrent à la république la présidence d’un Napoléon, ne raffinaient pas davantage. L’idée leur était venue que c’était le moyen de guérir du terrible malaise qui avait gagné tout le monde ; ils coururent tête baissée chercher la guérison. Il en est à présent de la révision du pacte constitutionnel de 1848 comme il en était alors de l’élection du 10 décembre : c’est une issue (et celle-là est plus encore l’unique que ne l’était l’autre), c’est une issue pour se tirer de l’impasse où l’on étouffe. On peut commenter d’autant de façons qu’il y a de partis et de nuances de parti les motifs individuels qui auront décidé les hommes politiques à prendre l’initiative de ce suprême effort ; le motif universel du succès qui le couronne, de l’impulsion, qui le précipite et le rend invincible, c’est l’ardeur fiévreuse avec laquelle on aspire par toute la France à conquérir de l’air et de l’espace pour soulager sa poitrine. Écoutez seulement la multitude qui pétitionne, écoutez l’expression la plus sincère et la plus unanime de ses vœux : on demande la révision pour la révision, on ne la demande pas en somme contre la république, — ce sont les purs républicains qui le feraient croire à force de s’en fâcher ; — on la demande contre la position insoutenable qui a mis toutes les patiences à bout, et ne dût-elle être qu’un second répit après le premier répit de l’élection du 10 décembre, il le faut à présent comme il a fallu naguère celui-là. Il n’y a point là-dessous d’intrigue qui puisse prévaloir, il n’y a pas de tactique clandestine qui produise de ces effets contagieux sur tout l’être moral d’un peuple ; il y a l’empire absolu d’une nécessité d’ordre public et je dirais presque d’existence nationale : primo vivere ! Ce que, donnera la révision, où l’on ira le lendemain du jour où elle sera décidée, personne assurément n’en sait rien ; mais on sait parfaitement que l’on ne peut plus aller du tout, si on ne l’obtient pas elle-même, et c’est cette claire conscience du besoin qu’on en a qui fait qu’on l’obtiendra. On ne lutte pas long-temps, même dans un pays en révolution, contre le cri de la conscience universelle.

N’est-il pas vrai cependant, et voilà une autre face de la situation, n’est-il pas vrai que plus ce cri souverain se propage et s’entend, plus on voit s’exaspérer tous ceux qui avaient pensé déposséder la France d’elle-même et lui imposer la règle de leur école, ou simplement le joug de leur volonté ? À mesure que le pétitionnement pour la révision a pris de la consistance, sourdes ou tumultueuses, on a senti redoubler les passions des esprits factieux ; on croirait que ces passions prétendent déjà couvrir la voix du pays et l’intimider par leur bruit ou par leurs menaces. Ceux-là sont des esprits factieux, qui ne savent point être conséquens avec eux-mêmes, si ce n’est dans leur penchant invétéré pour une domination brutale, qui démentent sans gêne leurs plus essentielles doctrines pour le profit de cette domination, qui soutiennent par exemple que le suffrage universel ne manquerait point de rendre la France républicaine, et qui