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car les pièces nouvelles ne s’élèvent pas à moins de quarante-six. Malheureusement, parmi ces pièces, il n’y en a pas une qui soit digne de figurer en si glorieuse compagnie. Si ces pièces étaient signées d’un autre nom, elles passeraient parfaitement inaperçues ; elles iraient s’engloutir dans le gouffre toujours ouvert qui engloutit tant d’idées insignifiantes décorées de rimes sonores : signées du nom de M. de Lamartine, elles éveillent de pénibles pensées. Pourquoi ces vers ne sont-ils pas restés dans les albums parfumés qui leur avaient donné asile ? Pourquoi ont-ils quitté le demi-jour mystérieux qui les protégeait ? Le poète inspiré qui nous a donné les Méditations et les Harmonies a-t-il donc pris au sérieux les louanges qui ne manquent jamais au génie lors même qu’il se fourvoie ? Quelle femme s’est jamais permis de trouver mauvais les vers qui lui sont adressés, quand ces vers sont signés d’un nom illustre ? Parmi ces quarante-six pièces nouvelles, il n’y en a pas une qui méritât de voir le jour, de circuler parmi les indifférons, je veux dire parmi les lecteurs désintéressés qui jugent l’œuvre en elle-même sans tenir compte du milieu où elle s’est produite pour la première fois. Telle chanson fort étonnée de se trouver à côté des strophes improvisées à la Grande-Chartreuse semble trouvée dans les papiers de Planard ; livrée à nos regards indiscrets seule et nue, sans les gracieuses mélodies d’Hérold, elle nous étonne et nous afflige. Je tourne le feuillet, et j’aperçois des vers qui pourraient porter le nom de Demoustiers, des vers adressés à une jeune fille qui, dans un rêve, déposait un baiser sur le front de l’auteur. C’est bien la peine vraiment d’avoir écrit les Méditations et les Harmonies pour lutter de mignardise et d’afféterie avec les Lettres à Émilie ! Une ode sur l’ingratitude des peuples, qui porte la date de 1827, et dont toutes les strophes sont placées dans la bouche d’Homère, n’est que le remaniement très malheureux de la belle pièce à Manoel. Autant les vers adressés au poète portugais respirent d’affection et de sympathie pour le génie méconnu, autant les strophes placées dans la bouche d’Homère sont banales et déclamatoires. Hante, Tasse, Milton, Camoëns, passent tour à tour sous nos yeux comme de pures marionnettes, comme de simples sujets d’antithèse. Si cette ode date vraiment de 1827, si elle précède de trois ans la publication des Harmonies, il est fort à regretter qu’elle ait quitté l’ombre hospitalière du portefeuille où elle était enfouie. Tous ces lieux communs contre l’ingratitude des peuples sont usés depuis long-temps et ne méritent pas un instant d’attention, à moins qu’ils ne soient rajeunis par l’élégance et la nouveauté de la forme. M. de Lamartine, qui, depuis trente ans, a trouvé tant de stances empreintes d’une tristesse sincère, tant de strophes animées d’un souffle ardent, n’a écrit sur l’ingratitude des peuples envers les poètes qu’une suite de plaintes et d’invectives qui ne semblent dictées ni par le malheur, ni par la colère.

Les vers à M. de Musset, que j’avais entendu vanter, sont loin de