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pas à les manier pour le seul plaisir de nous montrer son habileté ; elles se présentent naturellement à son esprit, elles viennent sans qu’il les appelle, et il leur confie le soin de rendre sa pensée plus claire, plus évidente. Chez lui, en un mot, les images sont presque des argumens, puisqu’elles servent à prouver ce qu’il a souhaité, ce qu’il a perdu, ce qu’il espère, et, après avoir donné à la pensée la splendeur et l’évidence, elles l’aident à se graver dans la mémoire. Les comparaisons oiseuses, les métaphores parasites, n’obtiennent jamais un tel succès. Loin de creuser dans le champ de la mémoire un sillon profond et fidèle, qui garde, comme un germe fécond, les vers du poète, elles n’y laissent qu’une trace confuse qui s’efface et disparaît tout entière au bout de quelques jours. Y a-t-il dans notre langue des strophes, des stances plus faciles à retenir que les Méditations ? Est-il besoin de les apprendre pour s’en souvenir ? Ce n’est donc pas sans raison que je loue, que je recommande, dans cet admirable recueil, la précision, la sobriété du style.

Cette qualité si précieuse n’est pas malheureusement de celles qui peuvent se transmettre par la voie de l’enseignement ; elle dépend tout à la fois de la nature d’esprit et de la condition où le poète se trouve placé. Il est bien rare qu’elle se concilie avec la pratique de l’industrie littéraire. Pour ne rien dire de trop, il faut absolument n’être pas forcé de parler chaque jour. Le poète qui prétend à la précision du style doit se résigner au silence dès qu’il ne sent pas en lui une pensée qui demande à se révéler. Il doit accueillir par un sourire bienveillant le reproche de paresse ou de stérilité, car, en essayant de réfuter cette banale accusation, il s’exposerait à la mériter ; tôt ou tard il succomberait au danger. Une volonté énergique peut sans doute accroître nos facultés ; mais la volonté a bien peu de prise sur l’imagination, et le poète qui n’attend pas pour parler que son heure soit venue franchit rapidement la pente qui sépare la poésie de la versification. Qu’il écoute donc sans colère les plaintes perfides de l’envie, qu’il ne réponde pas à ceux qui semblent déplorer son silence par une œuvre improvisée, qui trop souvent est cent fois pire que le silence. La lecture des Méditations montre bien qu’elles ont été conçues, écrites sans l’intervention de la volonté. Le poète ne s’est pas assis devant sa table en se disant : Je vais écrire deux cents vers. Il était ému ; une rencontre inattendue, une circonstance fortuite venait de lui rappeler des jours heureux dont le souvenir sommeillait au fond de son ame, et, pour soulager sa douleur, il la laissait déborder en strophes gémissantes. Si l’art avait sa part dans l’expression de ses regrets, s’il jouait même un rôle important dans la révélation de ses plus intimes sentimens, du moins le poète n’appelait l’art à son secours que lorsqu’il était sûr d’avoir quelque chose à dire. L’industrie littéraire pratiquée aujourd’hui