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par un sourire tous mes argumens. La lecture assidue, l’admiration constante de Candide, n’ont rien à démêler avec la poésie lyrique, et ce serait peine perdue que d’essayer de convertir les disciples de l’école voltairienne. Si les sarcasmes de Voltaire ont eu leur utilité lorsqu’il s’agissait de combattre l’intolérance et la superstition, ce n’est pas à lui qu’il faut demander l’intelligence impartiale de l’histoire ou du génie poétique. Pour affranchir son temps, pour assurer la liberté des générations futures, il a plus d’une fois dénaturé le sens du passé. Son impitoyable ironie ne prépare pas les jeunes cœurs au respect de la passion et de tous les mécomptes que le dévouement traîne après lui. Pour comprendre toute la valeur des Méditations, il faut prendre conseil de ses émotions personnelles et chercher au fond de sa conscience le type des sentimens que l’auteur a développés.

À l’époque où parut le premier recueil de M. de Lamartine, Goethe dominait l’Allemagne depuis un demi-siècle, Byron était déjà grand, et cependant l’auteur des Méditations n’a rien emprunté à ces deux beaux génies. Je ne veux établir aucune comparaison entre ces trois poètes ; il ne s’agit pas ici d’une question de prééminence, mais bien d’une question d’originalité. Or, je ne crois pas que l’œil le plus exercé puisse surprendre dans les Méditations, un seul trait, une seule image qui appartienne au poète anglais ou au poète allemand. Blâmez ou approuvez tout à votre aise : chacun peut, selon sa vie personnelle, admirer ou sourire ; mais ce qui demeure hors de toute atteinte, c’est l’originalité des Méditations. Ce livre est sorti tout entier du cœur de l’homme qui l’a signé. Combien y a-t-il de livres qui méritent un pareil éloge ?

Et pourtant la tentation était puissante. Goethe et Byron comptaient déjà en France de nombreux admirateurs, qui allaient bientôt devenir des imitateurs obstinés et maladroits. Pour résister à l’entraînement général, il fallait sentir en soi la faculté de se frayer une route à part, avoir confiance dans sa force, ou plutôt il fallait se dégager de toute préoccupation littéraire, vivre et sentir sans songer au parti qu’une parole habile pourrait tirer de la tristesse ou de la joie. Depuis trop long-temps la poésie lyrique n’était chez nous qu’un écho du passé : l’heure était venue de remonter à la source commune de toute inspiration, d’interroger la conscience après avoir épuisé l’enseignement des livres. Chacun le sentait, toutes les voix le répétaient à l’envi, et pourtant ce conseil si simple, d’une sagesse si évidente, n’était suivi par personne. On parlait de l’antiquité avec dédain, et l’ignorance rendait le dédain facile ; on ne citait plus qu’un seul vers d’Horace, le vers où il flétrit le troupeau servile des imitateurs, et, malgré toutes ces belles sentences, l’imitation des nations voisines avait succédé à l’imitation de l’antiquité. On ne jurait plus par Sophocle et par Euripide, on jurait