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et de Bernardin de Saint-Pierre, il chantait la mélancolie et l’amour dans une langue pleine de pudeur et de mystère, et qui pourtant n’excitait aucune surprise, car elle se rattachait par des liens sans nombre à la langue de Saint-Preux, aux Rêveries d’un promeneur solitaire. Ainsi la popularité des Méditations est parfaitement légitime, puisqu’elle repose sur la sincérité des sentimens, sur la vérité des pensées exprimées par le poète. — La poésie lyrique, asservie puérilement à l’imitation de l’antiquité dans les odes de Ronsard, laborieuse et verbeuse dans les odes de Jean-Baptiste Rousseau, pompeuse et emphatique dans les odes d’Écouchard-Lebrun, avait enfin trouvé sa voie dans les Méditations. Elle renonçait à l’érudition, au blutage des mots, pour s’associer à la vie commune ; elle ne s’adressait plus aux savans, aux beaux esprits, aux académies : elle parlait à tous les cœurs en qui l’amour du gain n’avait pas obscurci ou effacé les sentimens généreux, l’instinct du dévouement, la passion du sacrifice. Ce que Béranger avait fait dans la chanson, Lamartine le faisait dans l’ode et dans l’élégie ; c’était des deux parts une véritable révolution, préparée de longue main et accomplie sans secousse, sans résistance, par deux génies prédestinés. Béranger chantait la patrie et maudissait l’invasion ; Lamartine chantait l’amour tel que l’avaient compris toutes les femmes en lisant les lettres ardentes de Julie d’Étange. La chanson et l’élégie se trouvaient renouvelées par la toute-puissance de la vérité. La chanson quittait le cabaret pour marcher sur les traces de Tyrtée ; l’élégie abandonnait l’imitation de Catulle et de Properce pour n’interroger que le cœur, pour demander au cœur seul toutes ses inspirations.

La vérité n’est pas le seul mérite des Méditations. Ce que j’admire surtout dans ce recueil, c’est la spontanéité des sentimens et des pensées. Quelle que soit en effet la parenté qui unit les effusions lyriques de M. de Lamartine au génie de Rousseau et de Bernardin, il est hors de doute que cette parenté n’est pas née de l’étude et de la réflexion. C’est plutôt une rencontre heureuse qu’une obéissance préconçue aux principes posés par ces deux écrivains illustres. Il n’y a pas une page des Méditations qui offre la trace d’une docilité servile. Le lecteur sent à chaque ligne qu’il se trouve en présence d’un génie original. Lors même que les Confidences et Raphaël ne seraient pas venus nous révéler la jeunesse de l’auteur, nous pourrions affirmer qu’il a puisé en lui-même le sujet et la substance de ses odes et de ses élégies. C’est là le mérite le plus éclatant, le mérite incontesté des Méditations. Il se rencontre encore parmi nous, même dans la génération nouvelle, plus d’un disciple de l’école voltairienne qui prend Candide pour le dernier mot de la sagesse humaine, et qui proscrit la rêverie au nom de la raillerie. Aux esprits de cette trempe je n’ai rien à dire. Je n’essaierai pas de leur démontrer le caractère spontané des Méditations ; ils accueilleraient