Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/897

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aucune atteinte. Dans l’état de nos idées, il sera toujours ouvert une voie assez large aux vocations littéraires pour qu’on ne craigne point d’en arrêter l’essor par une instruction spéciale. On ne vient pas non plus peser violemment sur les volontés individuelles, ni porter atteinte à la liberté de disposer de soi-même, qui est le premier et le plus précieux patrimoine du citoyen. Tout mode d’enseignement qui méconnaîtrait le grand principe de l’égale admissibilité de chacun à tous les emplois sociaux formerait un contre-sens avec nos mœurs et avec nos lois écrites depuis soixante années ; il heurterait des tendances profondes qui dominaient dans l’esprit public à l’état de vagues aspirations long-temps avant la révolution de 1789, et qui sont l’ame de la civilisation moderne. Frayer des voies, offrir des facilités, indiquer des directions, éclairer les choix individuels, en un mot recourir à des moyens d’influence morale en faisant mieux comprendre à chacun son propre intérêt, tel est le but que doit se proposer un système d’enseignement industriel qui veut rester d’accord avec nos idées, nos mœurs et les tendances essentielles de notre sociabilité.

Mais cet enseignement peut-il se suffire à lui-même ? Comme l’industrie suppose le commerce, l’instruction industrielle n’implique-t-elle pas l’instruction commerciale ? Oui, sans doute. Chez les peuples civilisés, dans le vaste champ où l’activité humaine s’exerce sur la nature physique, on ne fabrique que pour placer ses produits ; le travail a besoin d’être stimulé et fécondé par l’échange. Malheureusement, sous le rapport de l’enseignement commercial, notre pays est encore plus mal partagé qu’en fait d’enseignement industriel. Parmi les institutions privées, où l’on prétend préparer les jeunes gens aux professions commerciales, il en est bien peu qui remplissent leur programme. Quant au gouvernement, il a toujours encouragé de préférence l’enseignement industriel. Un seul établissement, l’École spéciale du commerce créée à Paris il y a une vingtaine d’années, reçoit du budget une allocation pécuniaire ; encore cette subvention est-elle très restreinte[1]. Cette école forme cependant des élèves dont la coopération comme professeurs sera éminemment utile, si on veut développer cette branche de l’enseignement spécial. L’instruction y porte principalement sur la géographie commerciale, la comptabilité, la tenue des livres, le droit commercial, l’économie commerciale dans ses principes généraux, et, en dehors de toute controverse, l’histoire particulière du commerce, etc. Ce n’est plus l’art de fabriquer des produits, ce sont les connaissances nécessaires pour les vendre qui deviennent ici le thème essentiel des leçons. Il serait à désirer qu’un

  1. 8,000 francs, divisés en seize demi-bourses de 500 francs chacune, qui sont données au concours.