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marionnettes très perfectionnées ; aussi leur faisait-on exécuter toutes sortes de tours d’adresse[1]. Le minutieux biographe du docteur Johnson, James Boswell, raconte à cette occasion une anecdote qui montre bien toute la puérile vanité du grand critique. Johnson fréquentait volontiers les puppet-shows. Étant allé un soir aux Fantoccini, il s’impatienta d’entendre ses voisins vanter la dextérité des petits acteurs artificiels et s’écria : « Bah ! j’en ferais bien autant, moi. » Et en effet, soupant le soir même chez M. Burke, le pesant docteur faillit se rompre le cou en voulant montrer à la compagnie qu’il sauterait pardessus un bâton aussi lestement que les marionnettes[2].

Il existait à Londres, en 1779, un puppet-show connu sous le nom de Pantagonian theatre, situé à Exeter-change. Voici le titre d’une pièce de son répertoire qui a eu les honneurs de l’impression : The Apotheosis of Punch ; a satirical masque, with a monody on the death of the late master Punch. C’était la parodie fort inopportune d’une pièce de vers composée, sous le titre de monody, par l’illustre Richard Brinsley Sheridan, à l’occasion de la mort de Garrick, et récitée avec pompe sur le théâtre royal de Drury-Lane, dont Sheridan avait pris la direction après la retraite du grand tragédien.

Depuis le commencement du XIXe siècle, les marionnettes anglaises et Punch en particulier n’ont pas failli à leur mission satirique. Tout homme célèbre, tout événement important, ne manquent jamais d’être salués ou sifflés à Londres par maître Punch. Lord Nelson fut naturellement un de ses favoris. Après la bataille d’Aboukir, qu’on appelle en Angleterre la bataille du Nil, les puppet-players exploitèrent la popularité du vainqueur : « Viens ici, Punch, mon garçon, disait l’amiral ; viens sur mon bord m’aider à combattre les Français. Je te ferai capitaine ou commodore, si tu le veux. — Nenni, nenni ! répondait Punch, je ne m’en soucie pas ; je me noierais. — N’aie donc pas cette crainte, répliquait le marin ; ne sais-tu pas bien que celui qui est né pour être pendu ne court aucun risque de se noyer ? »

Pendant une de ses candidatures pour le siège de Westminster, sir Francis Burdett eut aussi l’honneur d’être joué par les marionnettes. Le baronnet se glissait en humble solliciteur chez M. Punch.- « Pour qui êtes-vous, monsieur Punch ? demandait-il. J’espère que vous me donnerez votre appui. — Je n’en sais rien, répondait maître Punch ; demandez à ma femme ; je laisse toutes ces choses à gouverner à mistress Punch. — C’est très bien fait, reprenait sir Francis. Et que dites-vous, mistress Judith ? Vive Dieu ! le joli petit poupon que vous avez

  1. Jos. Strutt, Sports and pastimes of people of England, p. 173 et 231.
  2. The Life o f Sam Johnson, by James Boswell, t. I, p. 396. Plusieurs autres puppet-shows se sont établis plus tard à Londres sous le nom de Fantoccini, notamment en 1801 ou 1502. Voyez J. Strutt, ibid., p. 168.