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clatant, du réel et du vivant pour le spéculatif et l’abstrait mathématique, voilà ses traits saillans, voilà par quels signes elle nous annonçait l’invasion prochainement victorieuse du paradoxe politique, de l’utopie sociale, le règne des calculs étroitement égoïstes s’accouplant aux rêves niaisement grandioses. Malheureusement M. Arnould ne s’est point proposé dans son œuvre l’étude curieuse des rapports qui unissent les révolutions littéraires et les révolutions sociales ; il s’est borné à tracer les règles du bon goût dans l’art de s’exprimer. Il y a tout d’abord trois choses à distinguer : le langage, représentant la pensée parlée dans ce qu’elle a de général et d’éternel ; la langue, qui correspond au génie particulier d’un certain peuple, au caractère d’un certain espace de temps ; le style enfin, propre soit à une époque déterminée, soit à un individu, et qui marque la langue commune d’un cachet spécial. C’est en lui donnant cette acception que Buffon a pu dire : Le style, c’est l’homme ; c’est ainsi qu’à son tour M. de Bonald a pu dire : Les littératures sont l’expressions des sociétés. Le style se forme d’élémens divers. M. Arnould en compte cinq, dont les uns se rattachent à la musique, le son et le ton, et les autres sont un emprunt aux arts plastiques et mimiques, la couleur, le dessin, le mouvement. De la combinaison du son et du ton avec la pensée de l’écrivain résulte l’harmonie du discours, purement mélodique au premier cas, et au second arrivant à une justesse d’accord qui s’adresse à l’ame plus qu’aux sens. Par la couleur, l’écrivain peint les objets ; le dessin lui sert à les préciser et à les délimiter, et, par le mouvement, il leur imprime la vie. Nous ne suivrons pas plus loin M. Arnould ; mais nous voudrions faire à propos de son livre une dernière remarque. Les époques reposées et fortes, en pleine possession d’elles-mêmes et de leur génie, ont adopté de préférence le ton moyen pour l’harmonie, affectionné le calme de la pensée et la netteté du dessin, se montrant sobres de couleur et réglées jusqu’au sein du mouvement. Aux armées de décadence, c’est le contraire qui a lieu. L’éclat des figures dans la confusion des objets, le brusque passage du ton élevé au ton grave, la violence emportée et bruyante de l’action, un pêle-mêle criard de sons, de couleurs et de gestes rapides qui étonne et surprenne, voilà ce qu’on recherche, ce qu’on veut à tout prix. — M. Arnould clot son essai par une interrogation. Les peuples se rapprochent, l’Europe marche à l’unité ; quel sera le rôle de la langue française ? Moins sonore et moins douce que les langues du Midi, moins âpre que les langues du Nord, héritière de la tradition classique, habituée à l’expression des idées générales, elle deviendra, dit-il, la langue européenne au milieu de la persistance des idiomes nationaux. Cette vue a de la justesse ; mais, pour qu’elle soit prophétique, les écrivains français ont à remplir de graves devoirs, dont les premiers sont le respect d’eux-mêmes et des autres, le retour à la discipline, le culte du beau et de la vérité humaine, qualités qui firent la grandeur impérissable des vieux maîtres.


P. Rollet.



V. de Mars.