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quelquefois emphatiques de M. Sauzet, nous passons volontiers aux vives peintures de M. Cuvillier-Fleury dans ses Portraits politiques et révolutionnaires. M. Cuvillier-Fleury a réuni sous ce titre un choix des articles les plus remarquables qu’il ait donnés au Journal des Débats depuis trois ans. Ces études, qui ont été très bien accueillies à mesure qu’elles ont paru, gagnent encore à se trouver rapprochées, parce qu’on aperçoit mieux l’unité du sentiment qui les inspire. M. Cuvillier-Fleury est un critique vigoureux qui châtie l’un par l’autre le romantisme et la démagogie ; il a mis une plume exercée au service d’un esprit droit et d’une ame sincère.

Si l’on se souvient des explications que nous avons données, il y a quinze jours, sur l’état intérieur du Portugal et sur la nature des révolutions qui s’y déroulent, on comprendra qu’il n’y ait pas lieu de s’étonner beaucoup qu’une révolution nouvelle ait encore, depuis quinze jours, entièrement changé la face des affaires. Nous avions laissé l’autre mois le duc de Saldanha vaincu et fugitif, le roi maître des troupes et vainqueur sans combat, la reine assurée de sa couronne, M. Costa-Cabral, comte de Thomar, ministre dirigeant ; voici maintenant les rôles intervertis. C’est au comte de Thomar de chercher un asile à l’étranger ; la reine n’a plus d’autorité, le roi plus de soldats ; la monarchie constitutionnelle du Portugal est soumise à la dictature du duc de Saldanha. La cause la plus claire d’un si grand revirement n’est ni plus ni moins qu’une mutinerie de caserne. Quand les peuples vieillis ont perdu ce qu’ils avaient de consistance morale, il suffit de ces misérables accidens pour bouleverser leurs destinées. Moins ils tiennent à quelque solide fondement, moins il faut pour les ébranler ; ces commotions trop faciles sont à la fois le signe et le châtiment de leur décadence. L’histoire du triomphe de Saldanha est bonne à raconter. Qui sait où nous allons nous-mêmes ? Instruisons-nous d’avance au spectacle de ces aventures stériles, qui sont seulement un peu plus mesquines que les nôtres. Si décidément nous ne sommes plus capables d’aviser de sang-froid et de longue main aux solutions possibles, aux accommodemens raisonnables, préparons-nous aux solutions portugaises.

Rappelons d’abord qu’entre le duc de Saldanha et le comte de Thomar la dissidence était surtout personnelle et très peu politique : l’un et l’autre s’étaient tour à tour accusés d’avoir enfreint la charte et gouverné par l’arbitraire ; mais l’un et l’autre avaient donné des gages de leur commun attachement au principe même de cette constitution. C’était Saldanha qui avait battu les septembristes en 1847 ; on assure qu’à présent il les amène avec lui dans le ministère, et il est à peu près certain que les ultra-libéraux seront les premiers, sinon les seuls, à profiter du triomphe remporté sur la couronne par ce singulier conservateur. On parle en effet déjà d’exiger l’abdication de la reine dona Maria et de transmettre la dignité royale à son fils aîné, qui n’est âgé que de quatorze ans ; la transmettre ainsi conduirait assez vite à la supprimer, et l’on reconnaît l’influence du parti septembriste à ces inventions révolutionnaires. Quoi qu’il en soit, on ne peut dire que ce parti ait eu dans le mouvement une action très directe ; il est resté à l’écart, attendant le résultat, par défiance ou par rancune contre l’auteur du pronunciamiento. Le pronunciamiento n’est donc plus même une affaire de parti, c’est une querelle de ménage ; ç’a été le coup de tête d’un ambitieux mécontent ; servi à l’improviste par un caprice