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parisienne de 1849. La grandeur de la fête anglaise s’explique donc de reste ; nous en avons assez dit pour expliquer la pauvreté de la nôtre : c’est la fête d’un principe auquel personne, pas même ceux qui s’en font les défenseurs attitrés, personne n’adhère encore que sous bénéfice d’inventaire. La république est dans la constitution, ou elle n’est pas. Or, la constitution, nous l’avons assez souvent démontré, peut bien être une arme, une barrière que les partis s’opposent réciproquement avec une utilité tantôt particulière, tantôt publique ; elle n’est un palladium pour aucun.

Personne n’a professé un respect plus sévère que nous pour cette constitution, tant qu’il ne servait à rien de l’attaquer, sinon à susciter un désordre de plus en minant la seule légalité sur laquelle on eût où poser le pied. Aujourd’hui que l’on peut légalement en appeler de cette légalité imparfaite et vicieuse à une autre qui soit meilleure et plus stable, c’est la stricte obligation de tout citoyen de décharger son cœur et de proclamer ses griefs. Le temps est passé où l’on avait par devers soi une excuse suffisante pour prendre son mal en patience et chercher peut-être à s’abuser. Ce n’est pas assez de dire que la constitution permet qu’on la révise, elle le commande, tant elle est faite pour être révisée. Non, la constitution n’est pas un palladium, et les peuples pourtant ne vivent pas, s’ils n’ont point de palladium. L’histoire de la fabuleuse Pergame est en cela l’histoire du genre humain. C’était une règle de la vieille tactique électorale et parlementaire chez nos voisins d’outre-Manche qu’il fallait un cri pour entrer en campagne ; il y avait tantôt un cri, tantôt l’autre, dans le service des whigs ou des tories. Ce mot de ralliement devenait à la longue une espèce d’emblème matériel ; on s’y attachait, on se reconnaissait par là. Les états aussi bien que les partis ont besoin de ces emblèmes auxquels on finit par se dévouer sans y plus rien analyser, que l’on aime de cette forte et simple affection du bon soldat pour son drapeau. Nous avons fait de terribles progrès en politique ; de tous les bords, nous avons marché de plus en plus à l’abstraction ; les ultras de tous les régimes se sont de plus en plus infatués du grand honneur qu’ils avaient de représenter la Providence dans le monde, et de ces hauteurs où ils planent, du sommet de leur montagne rouge ou blanche, ils méprisent singulièrement la petitesse d’esprit qui présidait à nos luttes publiques d’il y a vingt-cinq ans. Nous sommes, quant à nous, de ceux qui voudraient pour beaucoup vivre encore dans ce temps-là ; nous estimons médiocrement la politique transcendante ; nous croyons qu’il est plus sain de s’enfermer sur un terrain plus pratique, et, plutôt que de chicaner dans les nuages à la façon d’aujourd’hui, nous aimerions qu’on eût encore à se battre pour ou contre la charte, comme de 1815 à 1830. Le devoir alors était clair, le but défini, le courage aisé.

De bonne foi, qui est-ce qui pourrait se passionner à présent pour ou contre la constitution de 1848, comme on se passionnait en 1827 pour ou contre la charte de 1815 ? Les plus zélés avocats de notre constitution républicaine ne prétendent s’y tenir que parce qu’ils la prennent pour un moyen ; la charte était le tout de ceux qui l’invoquaient ; ils ne voyaient et ne voulaient rien au-delà. Nous, au contraire, nous ne regardons plus jamais qu’au-delà ; au-delà de quoi ? c’est toute la question.

Cette situation est trop funeste, il faut absolument qu’elle change ! il faut un