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confuses du moment ; chaque opinion eut son théâtre ; le boulevard resta socialiste ; le Cirque évoqua de nouveau la gloire et le petit chapeau de l’empereur ; au Vaudeville, on était monarchique et même un peu fusioniste. L’art ne jouait pas un grand rôle dans ces premiersParis mis tous les jours sur la scène. Il est certaines époques où l’esprit, sous le poids des préoccupations qui l’oppressent, ne peut admettre qu’une seule idée ; toute distraction lui est à charge, ou plutôt il ne se peut distraire qu’en variant la forme de sa constante préoccupation ; c’est là le seul plaisir qu’on pût alors goûter au théâtre ; on y traduisait pour les yeux les journaux du matin : c’était un journal en action[1].

N’exagérons pas la valeur de ces succès d’esprit et de moquerie contre la catastrophe de février. Outre le côté puéril, ces démonstrations provoquaient et autorisaient la licence bien autrement dangereuse des scènes dévouées aux doctrines révolutionnaires. Les théâtres du boulevard avaient remplacé les clubs fermés par le gouvernement. Le directeur d’un théâtre subventionné annonçait qu’il donnerait, en réduisant le prix des places, des pièces destinées à répandre les sentimens révolutionnaires. Le désordre menaçait de passer des esprits dans les rues ; le chemin est connu, et la distance n’est pas grande. Le péril devenait visible aux yeux de tous. L’opinion publique s’en émut ; la presse elle-même vint en aide, et donna du courage au gouvernement. L’assemblée nationale adopta d’urgence une loi qui défendait la représentation de toute pièce non autorisée par le ministre de l’intérieur. Cette mesure doit cesser à la présentation de la nouvelle législation promise sur les théâtres. Il faut croire et espérer que nous l’attendrons long-temps.

C’est maintenant au gouvernement à faire son devoir. Qu’il défende la société, il sera énergiquement soutenu dans ses efforts par l’approbation des bons citoyens. Que la censure théâtrale ne se règle pas sur le ton général de la presse et de la littérature : un mauvais livre corrompt quelques dizaines de lecteurs, des milliers de spectateurs sont pervertis par une pièce coupable. Il n’y a nulle bonne foi à vouloir mettre sur la même ligne la liberté de la presse et celle des théâtres ; celle-ci a certes de beaux côtés ; l’autre, au point de vue d’où nous

  1. On se rappelle, à propos de la discussion sur le suffrage universel, ces parodies qui montraient au public une multitude d’aveugles appelés à se prononcer sur le mérite comparatif de l’éclairage au gaz, à l’huile ou aux bougies. — C’était la chandelle qu’ils choisissaient, en chantant un hymne au soleil ! — A propos du droit au travail on voyait un barbier arrêtant un passant dans la rue pour le raser de force, et comme celui-ci se débattait, criant : « Monsieur, je ne veux pas être rasé ! » le barbier lui coupait la gorge avec son rasoir. — Toutes ces imaginations extravagantes étaient des inspirations et des réminiscences d’Aristophane.