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Il y a deux manières, en effet, d’invoquer en France le respect scrupuleux de la légalité : nous connaissons ces deux manières, et nous ne les confondrons jamais. Il y a un esprit de légalité hypocrite qui se presse incessamment autour des lois pour les désarmer d’abord et les étouffer ensuite. Nous avons vu la pratique de cet esprit-là le 24 février 1848 ; on en a fait la théorie devant la cour de justice de Versailles. Une question de légalité douteuse, soulevée à propos, met dans un jour de crise le pouvoir en suspicion ; avec la mobilité de l’opinion française, un pouvoir suspecté est bientôt abandonné, puis détruit. Alors le tour est fait, comme on dit, et les lois entières sont sacrifiées à un scrupule de détail dont le nom qui servait la veille de cri de guerre n’est prononcé le lendemain qu’avec dérision. Ç’a été l’histoire du droit de réunion et de la monarchie. La constitution actuelle a déjà vu accourir plus d’une fois à sa défense ces champions bénévoles qui n’auraient pas mieux demandé que de bouleverser la société en son nom. On a toujours réussi à se dégager à temps de ces embrassemens perfides. Nous sommes donc parfaitement édifiés sur la valeur des protestations légales et des menaces du parti révolutionnaire, et, si elle n’avait que des défenseurs aussi compromettans, la légalité serait à nos yeux fort en péril ; mais nous savons parfaitement aussi que dans des temps comme le nôtre le respect de la loi est la seule garantie qui reste au repos de la société, et pour ainsi dire le seul point de repère de la conscience publique égarée. Les honnêtes gens ont trop souffert des coups insolens de la force et du hasard pour être pressés de se jeter eux-mêmes, quelque nécessité qui les y pousse, dans le jeu des révolutions. Il est de leur dignité, de leur conscience, de leur prudence même, de se tenir attachés le plus long-temps qu’il leur est possible au droit, à l’ombre même du droit. Et s’il est absurde de prétendre que la propriété, la famille, tous ces biens qui font partie de la liberté providentielle et inaliénable de l’homme, et qui sont aujourd’hui tous en question, doivent être sacrifiés jusqu’au bout à un scrupule de légalité, si c’est là, on jamais, le cas d’invoquer ces droits imprescriptibles antérieurs aux constitutions dont on nous a tant parlé, il n’en est pas moins vrai qu’avant de recourir à de terribles extrémités, les derniers efforts de courage et de patience doivent être tentés pour concilier le salut de la société et l’intégrité des lois.

C’est ce désir infiniment respectable de légalité qui a suggéré, dès l’année dernière, à tant d’organes éclairés de la presse modérée, à tant de corps constitués exprimant le véritable vœu du pays, l’idée de provoquer l’assemblée nationale actuelle à décréter la révision légale de la constitution. Cette demande encore timide peut se résumer ainsi La société périt dans la constitution, il lui répugne d’en sortir violemment ; mais si elle pouvait en sortir légalement ? Or, la constitution a