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13 mai, d’avoir préservé la paix matérielle au milieu du trouble moral. La crise de 1852 associe l’élection du président à l’élection de l’assemblée : ce sont les deux secousses combinées et les deux points d’appui retirés. Au 10 décembre, le pouvoir exécutif était en question ; mais la paix de la société restait confiée à une assemblée souveraine dont les principes, à la vérité fort équivoques, étaient corrigés par une énergie pratique et grande. Au 13 mai, c’était le pouvoir législatif qui s’éclipsait ; mais une administration ferme, commandée par un chef qui avait donné des gages éclatans à la cause de l’ordre, garantissait la tranquillité publique et répondait de l’interrègne. L’an prochain, il n’y aura plus ni assemblée pour tenir lieu de président, ni président pour tenir lieu d’assemblée ; il n’y aura que deux pouvoirs expirans en face de deux urnes muettes : les deux câbles du vaisseau rompent à la fois.

Ce serait faire injure à notre bon sens et nous supposer aussi trop peu de mémoire que d’insister sur les résultats de cette double incertitude. Il est bien entendu que, pendant toute cette première moitié d’année, il ne faut parler ni de mouvement dans les affaires ni de travaux dans les ateliers. Il est convenu que ce serait du temps perdu pour tous les cultivateurs de se rendre aux foires des villes voisines, où, à la place des consommateurs de leurs denrées, ils ne trouveraient que des ouvriers sans ouvrage à la porte des fabriques fermées. Il va sans dire que, pendant le premier semestre de 1852, le bordereau du percepteur sera, dans chaque ménage, le seul article de compte à enregistrer. Tous ces résultats matériels peuvent se prévoir : ce sont des comptes tristes, quoique faciles à établir ; mais la situation générale d’un pays sans autre autorité que des pouvoirs frappés de mort à terme fixe, la situation de ces pouvoirs eux-mêmes en face de la nation en détresse, voilà ce qui, ne s’étant jamais vu, ne peut pas trop s’imaginer. Personne ne sait mieux que nous de quelle énergie dans le danger, de quelle courageuse fidélité dans la défense des lois est capable l’administration française. Nous ne doutons pas qu’en dépit des menaces des partis et malgré l’incertitude de sa propre destinée, chacun de ses membres n’ait la résolution de faire jusqu’au bout, pour le maintien de la paix publique, son devoir tout entier ; mais avouons que ce singulier procédé, si fort affectionné par la constitution, de placer pendant des semaines entières en face d’un pouvoir encore en fonctions un autre en expectative, est de nature à causer aux regards les plus exercés une hallucination fatale. À qui obéir dans cet intervalle entre un pouvoir qui n’est plus et un autre qui n’est pas encore ? Quelle sera, par exemple, dans les derniers jours de mai, l’autorité morale de l’assemblée législative actuelle, destinée, une semaine après, à faire place à des combinaisons de majorité nouvelle ? Et cependant c’est à cette