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la république. À deux reprises différentes, en six semaines, les négocians, les avocats, les paisibles citoyens des villes, seront, du soir au matin, pendant de longues journées, arrachés à leurs affaires pour assister à des délibérations de comité, à des examens de candidature, pour former des listes et rédiger des circulaires. À deux reprises en six semaines, toutes les routes de France seront sillonnées par des agens électoraux colportant des noms propres et des professions de foi. Deux fois en six semaines, toutes les gardes nationales seront sur pied, et toutes les populations en émoi. Deux fois en six semaines, les cultivateurs devront descendre de leurs montagnes ou sortir de leurs vallons pour venir dépenser sur le pavé des petites villes leurs économies de plusieurs mois. En un mot, l’année 1852 nous promet, à quinze jours de distance, un double accès de cette fièvre électorale dont le travail intérieur consume si long-temps à l’avance toutes les forces du corps social, et dont le jour du scrutin n’est que l’accès décisif, quelquefois salutaire, mais toujours douloureux.

Si l’on veut se faire une idée exacte de l’état où sera la France pendant ces six semaines si bien encadrées par la constitution, l’opération est bien simple : on n’a qu’à multiplier juste par elles-mêmes toutes les angoisses que nous avons éprouvées dans les grandes élections républicaines par l’épreuve desquelles nous avons déjà passé. Nous avons eu l’élection du 10 décembre. Deux mois avant ce jour fameux, la seule attente d’une telle crise partageait par la moitié l’assemblée, qui tenait alors ses séances au palais Bourbon. La presse, même la presse amie de l’ordre, ne faisait entendre qu’un bruit discordant de récriminations et d’injures. Celui-ci contestait le courage du vainqueur de juin, celui-là la nationalité du neveu de l’empereur. Le chef du pouvoir exécutif était obligé de passer trois heures à la tribune, ou, pour mieux dire, sur la sellette, pour démontrer qu’il n’avait pas trahi la société le jour qu’il la commandait. Chacun en France était sur sa porte, attendant le courrier de Paris. Ce n’était que l’élection du président de la république. Nous avons eu l’élection de l’assemblée nationale au 13 mai 1849. Quel hiver que celui qui la précéda ! que de pourparlers à huis-clos entre les partis ! que de violence à ciel ouvert dans les clubs ! A-t-on oublié ce dernier mois où l’assemblée mourante délibérait, sous les yeux de ses successeurs désignés, se résignant avec désespoir à abandonner un pouvoir qui la quittait, et prêtant de loin l’oreille aux frémissemens de l’émeute ? Oublie-t-on que l’ébranlement causé par ce spectacle étrange se fit ressentir jusque sous les murs de Rome, dans les rangs de notre armée, et que plus d’un trop prompt à s’effrayer, allait jusqu’à douter de la fidélité de nos soldats ? Ce n’était qu’une élection d’assemblée. Et cependant ce fut l’honneur du général Cavaignac au 10 décembre, ce fut la gloire du général Changarnier au