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de L’organisation de la famille. Le choix de semblables sujets en de telles circonstances dénotait un juste instinct des nécessités du moment, un pressentiment secret des dangers de l’avenir. En effet, tous les rêves mauvais qui dès lors assiégeaient les esprits, tous les plans audacieusement chimériques que depuis l’on a vus monter à l’assaut de la cité politique pour la briser en s’y introduisant de force, tous, à des degrés divers, ont pour but avoué le renversement de la propriété et de la famille au moyen de la destruction de leurs bases séculaires. L’Académie proposait donc aux penseurs une tâche d’une utilité manifeste. Malheureusement, les travaux qu’elle a eu à couronner ne satisfaisaient point pleinement à ses intentions, pas plus les deux mémoires de M Édouard Laboulaye, malgré leur supériorité, que le mémoire unique de M. Koenigswarter, dont le mérite bien moindre est réel encore. Ici comme là, le juriste domine trop en général l’historien, et l’historien, à son tour, efface outre mesure le publiciste. Il fallait passer vite sur beaucoup de détails, insister sur les traits principaux et placer plus souvent en regard des faits de droit les faits sociaux, tantôt principes et tantôt conséquences. Dégagée du poids d’une érudition trop chargée, s’attardant moins aux questions secondaires, la logique historique eût marché plus libre et plus prompte à son but, eût paru plus saisissante dans ses déductions, et dans ses conclusions plus pressante. Propriété, famille, dignité de la femme, c’étaient autant de conquêtes lentes de l’humanité à suivre pas à pas. — Bornons-nous à la famille, objet spécial des études de M. Kœnigswarter. Qu’était la famille romaine à l’époque de la loi des douze tables ? L’ensemble des personnes et des biens placés sous la main du chef. — Que fut la famille germaine ? L’association armée des parens. — Et la famille féodale à son tour, par quel caractère se distingua-t-elle ? En haut, nous trouvons la subordination aux devoirs du fief à qui furent sacrifiés les femmes et les puînés dans un intérêts de force indispensable ; en bas, l’assujétissement au service de la terre qui faisait parquer les personnes sur le sol et les enfermait dans l’éternelle prison d’une communauté obligatoire. Serfs et mainmortables ne succèdent, s’ils ne sont demeurans en commun. Voilà les premières réflexions qui naissent dans notre esprit à la lecture du travail de M. Koenigswarter, et pourtant M. Koenigswarter croit d’une foi médiocre à l’existence des rapports qui unissent l’organisation de la famille à celle de l’état. Chose plus singulière, cette contradiction entre les témoignages du livre et la pensée de l’auteur ne se renferme pas en un cas unique. Ainsi le livre constate les tristes effets du divorce à Rome, et l’institution du divorce compte en France M. Koenigswarter parmi ses partisans chaleureux. Enfin la contradiction, bornée d’abord entre le livre et l’auteur, éclate de l’homme à l’homme. Après avoir démontré que le principe de perpétuité est de l’essence de la propriété, après avoir exalté ce droit par je ne sais quel retour de sentiment, M. Koenigswarter, par une étrange aberration, rappelle avec faveur la proposition récente de deux, montagnards ayant pour objet de limiter la faculté de succéder au quatrième degré. Nous relevons ces erreurs de logique ; nous aurions pu relever des erreurs de doctrine : espérons que M. Koenigswarter saura mieux diriger désormais son érudition.


P. Rollet



V. de Mars.