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funeste des conservateurs aveugles qui se joue malheureusement encore dans plus d’un endroit de l’Europe. De même qu’il y a des gens qui ferment les yeux sur toutes les tendances socialistes et se laissent pour ainsi dire devenir eux-mêmes socialistes sans le savoir, ces prétendus conservateurs voient le socialisme et la révolution dans tout ce qui n’est pas la routine et l’inertie. Ils tireraient presque leur patrie jusqu’à l’abîme, tant ils s’y prennent mal pour l’empêcher d’y tomber. On l’a dit avec raison à M. Dumortier et à ses amis dans le parlement belge : « Prenez garde, si, devant toutes les réformes auxquelles on vous convie, vous n’avez d’autre réponse que de crier toujours au socialisme, vous finirez par donner à penser que réforme et socialisme ne sont qu’une même chose, et qu’il n’y a plus de salut possible à moins de confesser ce nom dont vous abusez comme d’un épouvantail. »

Ç’a été là du moins l’objection favorite de la minorité durant tout le cours des longs débats engagés au sein de la chambre belge sur l’établissement d’une caisse de crédit à l’usage des propriétaires : Ç’a été le fond de tous les sarcasmes lancés par M. de Mérode contre M. Frère, « le ministre des finances publiques et privées, » comme il le nommait ironiquement : le gouvernement passait au socialisme ; il introduisait dans les relations de la propriété le communisme de l’état. Les institutions de crédit foncier peuvent être plus ou moins habilement organisées et d’une façon plus ou moins opportune, suivant les habitudes et les circonstances locales : c’est une mauvaise fin de non-recevoir que de les repousser comme suspectes de socialisme. M. Frère l’a démontré victorieusement à ses adversaires. C’étaient les mêmes d’ailleurs qui trouvaient aussi du socialisme dans l’établissement des caisses de prévoyance pour la vieillesse, dans le patronage accordé par l’état aux nombreuses associations de secours mutuels fondées par les classes ouvrières : ce n’est pourtant pas en se croisant les bras qui les gouvernemens échapperont aux nécessités du temps ; ce n’est pas de refuser les satisfactions possibles qui leur donnera plus d’empire pour combattre les exigences illégitimes. Et remarquez encore la conséquence et la bonne foi de l’opposition belge ! M. Malou, l’un de ses chefs, quand il était ministre des finances à l’époque de l’ascendant clérical, M. Malou ne méditait rien moins qu’un vaste système d’assurances générales qui eût reposé sur les fonds de l’état, et garanti toutes les valeurs mobilières aussi bien qu’immobilières. Les mêmes hommes enfin qui voient si volontiers le socialisme dans le gouvernement ne craignent pas trop de le propager dans les masses en poussant les Flandres à pétitionner au nom de « la misère flamande. »

C’est demain que s’ouvrira la grande exposition de Londres. Quelles que soient les misères de notre temps et de notre pays, nous n’en accuserons jamais ni les lumières ni la liberté en présence de ce spectacle inoui dans l’histoire, que l’Angleterre va maintenant offrir au monde : ni les lumières ni la liberté n’auront jamais remporté de plus magnifique triomphe sur l’antique ignorance et sur l’antique despotisme.

ALEXANDRE THOMAS.


HISTOIRE DE L’ORGANISATION DE LA FAMILLE EN FRANCE, par M. L.-J. Koenigswarter[1]. — Dans les années qui précédèrent la révolution de février, l’Académie des sciences morales et politiques mit successivement au concours ces trois questions : Histoire de la propriété, histoire de la condition des femmes, histoire

  1. Chez Augustin Durand, 5 rue des Grès.