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de la France ? Et certainement on ne se dissimule pas que la France n’est point acquise, lorsque, tout en lui prêchant la solution que l’on dit suprême et nécessaire, on lui permet si aisément une solution de circonstance. Inventer la fusion pour aboutir en fait et en dernier ressort à la prolongation de la présidence, c’est peut-être démontrer que le pays n’a pas d’autre ressource disponible, mais c’est aussi prendre par le plus long et faire un chemin qu’on eût gagné de toute façon à s’épargner. Voilà ce qu’il en revient d’avoir célébré si bruyamment cette alliance nouvelle, qui pouvait, à bon droit, paraître moins urgente ; on ne veut point l’avoir conclue pour rien, on s’est condamné soi-même à en tirera parti : il faut qu’il sorte quelque chose de ces touchantes accordailles entre orléanistes et légitimistes, fût-ce la prorogation du président. Le résultat ne serait certes point méprisable, si seulement on le poursuivait assez franchement pour ne pas le compromettre.

On le compromet, comme on compromet tout à jouer un jeu impossible, à fabriquer un parti avec une idée de convention. Les partis ne vivent que s’ils sont bâtis de chair et d’os ; les arrangemens les plus ingénieux et les plus vertueux ne suffisent pas encore à faire un parti, s’ils reposent en l’air. Les idées de l’abbé de Saint-Pierre étaient fort estimables ; elles n’ont enfanté jusqu’à présent que les amis de la paix, qui ne sont point un parti. L’idée de la fusion est à peu près du même ordre ; elle ne respire que la générosité ; il ne lui manque, en revanche, que ce fond solide et substantiel où s’enracinent les idées qui mènent les hommes. Voyez aussi comme on s’embarrasse, comme oui s’empêche soi-même à son service, comme tout y est contradictoire, parce que rien n’y vient de nature. On gâte l’une par l’autre les deux causes que l’on défend ensemble, la cause de la prorogation et celle de la fusion la fusion en montrant qu’elle n’est point chose si sûre, qu’il n’y ait une autre sûreté ailleurs ; la prorogation, en la reléguant d’avance à l’état de pis-aller. Était-ce là ce qu’on cherchait au prix de tant d’efforts, et la France en est-elle mieux pourvue ? Autant valait demeurer tranquille et pratiquer en paix la sainte vertu de patience. De toutes les vertus qui sont nécessaires aux hommes d’état de ce temps-ci, c’est celle qu’ils possèdent le moins. Ils ne sont jamais assez persuadés que la patrie ne se passera point d’eux ; ils se croient trop obligés de prendre position pour qu’elle ne les oublie pas. Il y avait à Rome un moyen très simple d’annoncer au peuple qu’on briguait ses suffrages on se mettait en évidence sur le Forum avec une robe blanche, et l’on appelait ainsi les regards. Nos modernes candidats ont remplacé ce procédé trop primitif par un autre plus savant et quelquefois surtout plus coûteux ; ils se composent à tout prix une attitude politique. L’ambition de l’attitude est le premier degré dans l’ambition du pouvoir, et souvent ; lorsque celle-ci a cessé ou paraît avoir cessé de subsister, l’autre survit encore.

Le plus notable des événemens extérieurs de ces derniers jours, celui qui a causé le plus de bruit, sinon celui qui aura eu le plus d’effet, c’est l’insurrection avortée du maréchal Saldanha contre le gouvernement de la reine de Portugal. L’histoire de cette insurrection a cela d’assez particulier que le désordre y garde encore, pour ainsi dire, une physionomie nationale, et ne s’est point calqué sur les procédés ordinaires de la démagogie européenne. On a dit cependant que les meneurs de cette démagogie essayaient déjà d’organiser une