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d’Amerighi ; c’est la même manière de distribuer la lumière, d’arriver au relief des parties éclairées par l’exagération des ombres. Tout en reconnaissant que le peintre français a surpris avec une rare habileté, pratiqué avec une singulière adresse tous les secrets d’Amerighi, bon gré, mal gré, le spectateur le plus sévère ne peut refuser à Géricault le mérite de l’originalité. Si la distribution de la lumière rappelle la manière du peintre lombard, le choix des formes n’a rien à démêler avec les tableaux qu’il nous a laissés. Ainsi, malgré l’analogie que j’ai signalé, et que je maintiens comme évidente, comme irrécusable, je n’hésite pas à louer la manière de Géricault comme une manière vraiment originale. Les procédés demeurent les mêmes, les formes sont diverses, et le plagiat ne peut être affirmé sans injustice. Si Géricault, en adoptant la méthode d’Amerighi, lui eût emprunté les lignes et les figures de ses compositions, nous aurions le droit de le considérer comme n’existant pas par lui-même, comme relevant d’une nature qui n’est pas la sienne. Les modèles qu’il a choisis, les types qu’il a représentés, répondent victorieusement à ce reproche, ou plutôt nous défendent de l’exprimer. Le cadavre du jeune homme étendu aux pieds de son père n’a rien de commun avec les figures que nous trouvons dans les tableaux d’Amerighi. La galerie du Louvre possède plusieurs ouvrages importans de ce maître, et chacun peut sans peine vérifier l’exactitude de mon assertion. Je n’ai donc pas besoin d’insister. Les preuves que je pourrais fournir, les argumens que je pourrais invoquer, deviennent parfaitement inutiles en présence des compositions d’Amerighi. Le Christ au Tombeau démontrera mieux que toutes les paroles en quoi Géricault diffère d’Amerighi.

Si j’abandonne le maître lombard pour comparer Géricault aux peintres les plus illustres de son temps, à ne considérer que la question d’exécution, je ne puis m’empêcher de le proclamer supérieur à tous ses contemporains. Les plus belles toiles de Gros, si éclatantes d’ailleurs par la richesse la variété de l’invention, sont bien loin de pouvoir se comparer au Radeau de la Méduse sous le rapport de l’exécution. Dans la Bataille d’Eylau, dans la Bataille d’Aboukir, dans la Peste de Jaffa, les figures du premier plan manquent de solidité. C’est ce qu’on appelle dans la langue des ateliers de la peinture lanterne. Je me sers à dessein de cette expression, qui pourra sembler barbare, parce qu’elle rend avec une rare précision le sens vrai de ma pensée. Je ne veux pas comparer Gros et Géricault ; ce serait un pur jeu d’esprit, un parallèle sans intérêt, sans profit pour le lecteur. Il est incontestable que Gros, dans les diverses compositions que je viens de rappeler, a fait preuve d’une souplesse, d’une fécondité que Géricault eût peut-être montrées, s’il eût vécu plus long-temps, mais qui ne se trouvent pas dans les œuvres qu’il nous a laissées. Si Gros, sous le rapport