Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/523

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dès qu’on tient compte de l’émotion produite dans l’ame du spectateur. Il y a dans ces deux figures quelque chose de plus que l’imitation littérale de la réalité : il y a une pensée qui donne à ces œuvres une valeur poétique, une valeur morale que le mérite de l’exécution ne suffirait pas à expliquer.

Géricault voyait l’école française s’égarer dans l’étude exclusive de la statuaire antique, combiner laborieusement des lignes et des masses empruntées aux marbres de la Grèce et de l’Italie, et négliger d’interroger la nature. Convaincu, par la réflexion comme par l’histoire, qu’un tel système, obstinément poursuivi, devait, dans un court espace de temps, priver la peinture de sève et de vie, il résolut de réagir violemment, contre les : traditions sculpturales de David. Il procéda comme si la nature n’eût pas compté, depuis Phidias jusqu’à Raphaël, d’éloquens d’immortels interprétés. Ce n’était de sa part ni dédain ni oubli ; c’était plutôt un respect profond pour ces maîtres illustres. Il sentait que le plus sûr moyen de leur ressembler n’était pas d’imiter servilement leurs œuvres, mais de remonter jusqu’à la source même où ils avaient puisé, jusqu’à la nature. En ne copiant ni les marbres grecs ni les marbres romains, il prouvait une saine intelligence de l’antiquité, car les plus belles œuvres de Phidias, bien qu’idéalisées par une imagination puissante, laissent apercevoir l’étude assidue de la nature. Ce n’est pas aux marbres d’Égine, qu’elle admirait pourtant et très justement, que l’école attique a demandé le secret de la beauté. Imitateur servile de ses devanciers, Phidias n’eût jamais conçu les murailles du Parthénon. Par son ardent amour de la nature, par son désir sincère de la reproduire dans toute sa richesse, dans toute sa variété, Géricault se montrait plus fidèle aux traditions de la Grèce que toute l’école de David.

Il avait d’ailleurs, pour se récolter contre l’imitation exclusive de la statuaire antique, une raison indépendante de son amour pour la réalité : il comprenait, malgré sa jeunesse, que la statuaire et la peinture, qui toutes deux emploient l’imitation comme moyen, sont soumises à des conditions très diverses. Il ne croyait pas qu’il fût permis de concevoir et de composer d’après les mêmes données un bas-relief et un tableau. Tous ceux qui ont réfléchi sur les ressources de la peinture et de la statuaire, qui ont comparé les œuvres du ciseau et du pinceau choisies dans les époques les plus glorieuses de l’art, savent à quoi s’en tenir sur le mérite de la statuaire pittoresque et de la peinture sculpturale. Une telle doctrine ne peut enfanter que des œuvres bâtardes. Géricault a donc agi très sagement en n’acceptant pas comme fondement de la peinture l’imitation de la statuaire antique. En suivant les principes adoptés par l’école de David, il aurait méconnu le but de la peinture ; par son retour violent à l’origine même de l’art, à l’imitation, il a montré à tous les bons esprits quelle voie il fallait suivre. Il