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avait traité toutes les parties de son œuvre avec une habileté digne d’un maître consommé. Aussi, dès l’année 1812, le rang de Géricault dans l’école française fut marqué d’une façon précise pour les vrais connaisseurs. Les disciples mêmes de David, tout en maugréant contre l’intrusion d’une manière nouvelle, imprévue, qui heurtait de front toutes les doctrines consacrées, furent bien obligés de reconnaître dans l’élève indocile de Guérin une main familiarisée avec tous les secrets de l’exécution : le Chasseur de la garde obtint un succés popoulaire.

Cependant, si les esprits délicats, habitués à réfléchir avant de porter un jugement sur une œuvre nouvelle, comprenaient pourquoi l’auteur avait donné à son cavalier une attitude qui n’était pas sans analogie avec celle des écuyers du Cirque Olympique, si, loin de blâmer le caractère quelque peu théâtral du chasseur lancé au galop, ils voyaient dans le feu du regard, dans l’expression belliqueuse de la physionomie la justification complète du parti adopté par le peintre, bien des esprits moins éclairés, amoureux de la chicane, reprochaient à Géricault de n’avoir pas mis dans son tableau toute la simplicité que le sujet réclamait. Pour ces juges chagrins, l’admiration populaire ne « méritait : pas- d’être prise en considération ; l’émotion de spectateurs ne signifiait rien : c’était une erreur déplorable qu’on ne pouvait invoquer comme un argument. Géricault, sans se laisser détourner de la voie qu’il avait choisie par des reproches dont il comprenait tout le néant, sentit pourtant la nécessité de produire son talent sous une forme nouvelle. À ceux qui blâmaient amèrement l’emphase et l’attitude théâtrale du Chasseur de la garde, il voulut montrer qu’il savait émouvoir en traitant très simplement une donnée en apparence insignifiante : au Chasseur de la garde il donna pour frère le Cuirassier blessé, afin de fermer la bouche aux détracteurs, obstinés de son premier ouvrage.

Il est impossible en effet d’imaginer un contraste plus frappant. Si la même main se révèle avec une égale puissance dans ces deux tableaux, il y a entre les deux compositions une différence si profonde, qu’après les avoir contemplées tour à tour il faut bien se résigner, à quelque doctrine qu’on appartienne à voir dans Géricault un homme résolu à étudier la nature sous toutes ses faces, et non pas, comme on le disait devant le Chasseur de la garde, en peintre ami de l’emphase. L’auteur n’avait pas perdu le temps pour répondre aux censeurs, et la réponse parut victorieuse. Le Cuirassier blessé, exposé en 1813,- fut -accepté comme la preuve d’une grande souplesse d’imagination ; car s’il y a parenté dans l’exécution, il n’y a aucune ressemblance entre les deux sujets. Autant le Chasseur de la garde entraînant son escadron est plein d’ardeur et d’enthousiasme, autant le Cuirassier blessé est morne et abattu. Démonté, conduisant son cheval par la bride, les yeux levés au