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reconnu le nouvel état, qu’elle seule voulait et pouvait les protéger contre l’invasion haïtienne, et qu’un capitaliste anglais allait venir offrir au congrès un emprunt[1] ; ils rencontrèrent une répulsion unanime dans les rangs de la population, de l’armée et du clergé, et le congrès, à peine rentre en session, renouvelait ses instances auprès de la France (février 1849). Un Français établi dans le pays, M. À Lapeyrette, fut officieusement chargé de porter à Paris l’expression de ce vœu persistant.

M. Schornburg et M. Henneken ne se rebutèrent pas. Ils résolurent de provoquer la scission de la province de Santiago, à laquelle se serait rattachée la magnifique presqu’île de Samana, principal objet de toutes ces convoitises. Un bâtiment de guerre anglais vint jeter inopinément l’ancre dans la baie de Samana Le gouverneur des Iles-Turques envoya un autre bâtiment à Puerto-Plata, et le gouverneur des îles Bahama, le capitaine Mathew, se rendit de sa personne à Santiago où M. Henneken vint le joindre. Il ne suffisait pas de raviver la vieille jalousie des Santiagais contre la capitale dominicaine : pour les amener à s’insurger sous le patronage du pavillon anglais, il fallait encore neutraliser leurs sympathies françaises, et M. Henneken et Mathew répandirent dans la population toutes sortes de bruits odieux sur la France, disant, entre autres choses, que nous convoitions l’est pour y rétablir l’esclavage. Échec complet encore ; Le général Tito Salcedo, qui devait être mis à la tête du pronunciamiento, n’osa pas bouger, tant il jugea les habitans et l’armée mal disposés à le suivre. Le couple propagandiste réussit cependant à empêcher le général Tito Salcedo de faire, au moment de l’invasion de Soulouque[2], un mouvement décisif qui eût permis aux Dominicains d’arrêter à temps l’armée noire, et quand celle-ci fut au cœur du territoire, quand la petite république eut le couteau à la gorge, le capitaine Mathew se rendit à Santo-Domingo pour joindre ses offres de protectorat à celles dont M. Schomburg, d’accord avec Jimenez, obsédait le congrès. Le capitaine anglais fit même intervenir la menace et alla jusqu’à dire à l’archevêque, lequel répéta ce propos avec indignation, « que, si les Français entraient jamais à Santo-Domino ; le sang y coulerait comme la pluie. » On sait le reste. Cette population désespérée, qui s’attendait d’heure en heure au massacre, répondait aux avances et aux menaces de MM. Schomburg et Mathew en forçant Jimenez à signer de sa propre main un nouvel appel à la France, à la France, qui n’aurait pu venir, à son aide qu’au bout de plusieurs mois ! Santana tentait et réalisait l’impossible pour soustraire son pays à la protection cependant immédiate

  1. Cet emprunt a été, en effet, offert plusieurs fois, et la petite république, malgré son extrême pénurie, l’a toujours repoussé.
  2. Ces menées furent découvertes peu après. Tito Salcedo et Henneken furent arrêtés.