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fit prier M. Place de venir en conseil des ministres, lui communiqua cette offre, et l’invita à se promener séance tenante. Jiminez avait eu vent de l’entrevue des délégués du congres avec M. Place et des scrupules qui avaient empêché celui-ci de donner une réponse affirmative. Il posait donc cette alternative d’option dans la ferme espérance d’un refus qui eût sauvé les apparences vis-à-vis de la population et laissé le champ libre au consul britannique. M. Place comprit heureusement ce que signifiaient les subites tendances françaises de Jiminez, et il parla assez haut et assez clair pour que celui-ci, se sentant démasqué, changeât aussitôt de ton ; et demandât à notre agent si, tout en persistant à refuser le protectorat, il consentirait au moins à recevoir les propositions écrites du gouvernement dominicain ? Entre une solution qui n’engageait que sa propre responsabilité et des scrupules qui auraient eu pour effet immédiat de river ce pays à l’Angleterre, M. Place n’hésita plus, et Jimenez, un peu penaud, car il espérait peut-être un nouveau refus, dut se résigner à signer sur l’heure les propositions dont il s’agit. Informé de la comédie que venait de jouer ce triste personnage et voulant couper court à toute nouvelle intrigue, le congrès décréta en séance secrète le jour même que la république se plaçait sous notre protection, et qu’à l’approche de l’ennemi elle arborerait coûte que coûte nos couleurs, nos couleurs qui ne flottaient, je le répète, que sur le consulat de France, lorsque le pavillon britannique flottant dans la rade même sur deux bâtimens. La Providence envoya dans ce moment un bateau à vapeur français qui permit à M. Place de se mettre en communication avec M. Raybaud[1], et M. Raybaud, qui, par son influence personnelle sur Soulouque, pouvait seul désormais prévenir les nécessités prévues par le décret du congrès, se fit transporter en toute hâte à Santo-Domingo ; mais Santana devait lui épargner la moitié du chemin. Notre consul-général rencontra en mer le message qui lui annonçait la bataille d’Ocoa.

À peu de distance de. Santo-Domingo, Santana avait commencé à rencontrer çà et là quelques fuyards avec lesquels il entamait chaque fois ce dialogue. « Où vas-tu ? — Je n’en sais rien, général ; mais je m’en vais. — Et pourquoi ? — Parce que nous sommes trahis. — C’est bon, reprenait alors Santana en s’éloignant d’un air piqué ; c’est bon, je m’en vais me faire tuer seul. — Que diable ne le disiez-vous s’écriait alors son interlocuteur, qui lui courait après et prenait rang

  1. Nous n’avons pas besoin de dire que notre consul-général n’avait pas oublié, de son côté, les malheureux Dominicaine. Depuis trois semaines, il écrivait lettres sur lettres au quartier-général haïtien pour rappeler à Soulouque qu’il déshonorerait sa victoire par des cruautés inutiles, et combien il avait, au contraire, intérêt à effacer la tache faite à sa réputation par les massacres de l’année précédente.