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M. Place tout le formulaire câlin de la courtoisie nègre, nouvelle révélation qui valait toutes les autres ensemble.

Personne cependant ne pouvait pressentir encore tout la gravité de ce complot ; et M. Place, supposant que quelque vieille jalousie d’influence était seule en jeu, tenta d’étouffer l’affaire en amenant des explications amiables entre Puello et Santana (qu’il avait eu néanmoins la précaution d’informer de ses découvertes). Puello fut impénétrable ; quant à Santana, il éluda l’entrevue, car dans l’intervalle il avait fait de son côté d’autres découvertes qui complétaient les premières. Comme on parlait le soir même devant lui des ruses qu’emploie notre police contre les voleurs, Santana, qui aime à s’instruire, demanda avec beaucoup d’intérêt ce que c’était qu’une souricière. On le lui expliqua, et il parut enchanté de la définition.

Pressé de la, mettre à profit, Santana, dès le surlendemain 5 décembre, fit nommer, de garde au palais de la présidence le colonel et le capitaine Puello, ainsi que deux autres officiers qu’il savait être de la conspiration : c’était l’amorce de la souricière. Les soldats du poste étaient, bien entendu, des hommes sûrs. À deux heures, les ministres furent mandés, et ils étaient à peine entrés dans la salle du conseil ; qu’une douzaine de Seybanos se postèrent aux portes et dans les escaliers avec ordre de ne laisser entrer ou sortir que les personnes qui leur étaient désignées.

Santana annonça aux ministres qu’il y avait complot, mais sans dire encore de quel complot ils s’agissait et sans que rien décelât sur ses traits et dans le son de sa voix, aussi calmes que d’habitude, qu’il se savait en présence du principal conjuré. Puis il invita Puello à rédiger et à signer les ordres nécessaires pour rassembler la garde nationale et réunir le régiment noir à l’arsenal. Comme ministre de l’intérieur et de la police, Puello pouvait seul convoquer en effet la force armée, et il obéit avec d’autant moins d’hésitation, que sa conspiration à lui ne devant éclater que le jour de Noël, il se croyait parfaitement désintéressé dans la question. Le rôle que donnait Santana au régiment noir eut d’ailleurs suffi à tranquilliser Puello.

Sur la foi d’un ordre signé par le chef même de la conspiration, ce régiment s’était porté en toute hâte au point indiqué, où il attendait impatiemment des cartouches et un signal. Les bombolos furent donc très désagréablement surpris lorsque, à la place de Puello, ils virent apparaître la garde nationale presque entièrement de clairs, et qui, soutenue par quatre canons, vint se ranger en bataille devant eux, prête à les bloquer et à les écraser au moindre mouvement suspect. Au lieu de faire tirer selon l’usage, le canon d’alarme qui eût appelé les Africains de la plaine sur la ville, les deux frères Alfau, l’un commandant de la province, l’autre commandant de la place, étaient