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Santo-Domingo, d’aller délivrer sur l’heure son ami Baez, et de couper par la même occasion les oreilles à l’imprudent et bavard Jimenez ; mais, réfléchissant que le plus pressé était de repousser Hérard, il convoqua la hâte les bergers disséminés dans le Seybo, et parvint, avec l’aide de son frère et des frères Alfau, à en réunir à temps un millier qu’il dirigea sur Azua. Quand il y arriva, sa petite armée, s’élevait déjà à près de mille cinq cents hommes, dont quelques-uns seulement avaient pu se procurer des fusils. Le plus grand nombre n’étaient armés que de lances, de sabres ou de simples bâtons. L’ennemi ne tarda pas à se présenter, et les Dominicains, ayant supputé les forces noires, conclurent à l’unanimité de cet examen que, pour égaliser les chances ; il fallait nécessairement que chacun d’eux se battît comme dix, puis ils crièrent sur toute la ligne : Viva la virgen Maria y republica dominicana ! Hérard répondit par une attaque générale. Il fut vigoureusement repoussé, et s’il resta par le fait maître d’Azua, où la colonne retardataire put le rejoindre, c’est que les Dominicains trouvèrent plus avantageux d’aller attendre les Haïtiens dans les défilés qui défendent les approches de Santo-Domingo.

Hérard accusa ouvertement la France du succès de ceux qu’il appelait encore des Haïtiens rebelles, mais qui avaient bien décidément conquis leur nouveau nom de Dominicains. Le contre-amiral de Mosges eut un moment bonne envie de justifier ces accusations ; il se borna cependant au rôle de médiateur. S’étant rendu au quartier-général d’Azua, il fut invité à passer en revue l’armée haïtienne, et dit nettement à Hérard qu’elle serait écrasée au passage d’un défilé qu’il lui désigna. Hérard crut que le contre-amiral faisait allusion à une intervention possible de l’escadre française, qui, hasard ou calcul, se trouvait postée de façon à balayer au besoin ce passage Le contre-amiral n’eut garde de tranquilliser son interlocuteur, et les considérations d’humanité qui imposaient à M. de Mosges cette tactique n’étaient pas puisées dans l’intérêt seul des Dominicains. À la défaite d’Azua avait, en effet, succédé une véritable déroute morale. Les soldats d’Hérard désertaient chaque jour par centaines, et les mesures draconiennes qu’il avait décrétées, soit contre les déserteurs, soit contre tout Haïtien valide qui ne se rendrait pas sous les drapeaux, n’avaient servi à accélérer cette désorganisation en suscitant dans l’ouest une opposition déjà plus forte que le gouvernement. Hérard le comprenait tout le premier : avancer, c’était risquer d’arriver presque seul au cœur du territoire ennemi ; mais aussi comment reculer ? Comment se présenter en vaincu devant cette constituante qui l’eût à peine accepté vainqueur ? Il prit donc le parti de ne pas bouger de son quartier-général d’Azua en attendant que Pierrot, qu’il avait mandé et qui arrivait par le nord à la tête de dix mille hommes, fût venu le renforcer.