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Seybo, qu’on nomme indifféremment dans l’île seybano ou machetero. Les Seybanos le manient avec une égale adresse de la main droite et de la main gauche, et telle est la sûreté de coup d’œil de ces sabreurs formalistes, que pas un tribunal au monde n’égalerait en précision la justice distributive du machete, depuis la botte à fond des cas graves jusqu’à la simple boutonnière destinée à raccrocher l’un à l’autre deux amis en délicatesse. Un coup de sabre est encore une façon honnête de se saluer. Deux intimes, deux compadres, qui se retrouvent dans les savanes après une longue séparation, dégainent en s’apercevant, et ce n’est qu’après avoir échangé la légère entaille de l’amitié qu’ils mettent pied à terre pour s’embrasser et se demander des nouvelles de leurs femmes, et de leurs taureaux. À quatorze ans révolus, le fils reçoit le machete des mains de son père. Quant à l’étroit ceinturon de coton blanc auquelle machete doit être suspendu, c’est l’affaire du fils, qui se met aussitôt en quête une novia (fiancée) disposée à filer, à tisser et à broder ce ceinturon, cadeau habituel des noces.

Ce talent de simplification qui sait résumer dans le machete la plupart des nécessités sociales suit partout le Seybano. — Veut-il savoir l’heure ? Son doigt se ploie à angle droit sur la pomme de sa main tendue horizontalement, et l’ombre répond. Sa guitare est-elle fêlée ? une calebasse adroitement montée sur un manche la remplace. Transporte-t-il des voyageurs inhabiles à la nage ou peu familiarisés avec les caïmans ? il noue aux x quatre coins la peau de bœuf qui sert d’enveloppe aux bagages, et les rivières sont franchies sur ce canot improvisé, qui, un peu plus loin, se transformera en tente ; ainsi de suite. Un commun dédain des superfluités de la vie, la fraternité du machete, ce respect qu’a volontiers pour chacun quiconque sait se faire respecter de tous, ont confondu, les rangs dans cette petite société semi-chevaleresque, semi-patriarcale, où l’autorité du maure devient protection, et la dépendance du serviteurr dévouement.

C’est parmi ces pâtres guerriers, groupés par centaines : autour des chefs de hatte (maîtres-pasteurs), que Juan Sanchez, Seybano lui-même, recruta, je l’ai dit, le noyau de l’insurrection de 1808, et c’est encore de là que devait sortir la première armée dominicaine.

Au moment de la chute de Boyer, les chefs de batte les plus opulens et les macheteros les plus renommés du Seybo étaient deux frères jumeaux, don Pedro et don Ramon Santana, si parfaitement ressemblans que, si l’un d’eux eût dégaîné sans se nommer, l’adversaire se fût borné à comprendre qu’il avait affaire au machete d’un Santana, sans savoir si ce machete était celui de Pedro ou celui de Ramon. Les deux frères allaient deux ou trois fois par an à Santo-Domingo vendre leur bétail et acheter denrées et des vêtemens pour leurs nombreux serviteurs, car dans le Seybo les gages sont payés presque entièrement