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nos ports de charbon, car dans la prévision, même lointaine, d’une guerre maritime, il faut dans nos arsenaux du combustible pour au moins un an. On comprend maintenant l’importance que nous attachons aux parcs à charbon dans l’inventaire de nos ports.

Parmi les questions que soulève l’état de nos arsenaux, il en est une encore, la plus grosse, la plus importante ; celle même sur laquelle repose l’établissement naval tout entier : nous voulons parler de l’approvisionnement des dois. Avec les ports que possède aujourd’hui la France, si nous avions une réserve de 4 à 400,000, stères de bois bien assortis (nous prions qu’on ne s’effraie pas trop vite de l’énorme chiffre que nous posons là), on pourrait, en s’endormant dans la confiance d’une longue paix, ne pas donner une valeur trop exclusive au nombre des vaisseaux qui flottent. : Dès le premier mouvement d’orgueil national, les escadres, on l’a vu en 1778, naîtraient comme par enchantement au cri de la patrie. On sait ce qu’était le droit de martelage exercé par l’état sur les forêts de la France : ce droit, sans blesser les intérêts privés, assurait à la marine tout le bois de chêne nécessaire à ses constructions. D’un seul coup d’œil jeté sur les registres de martelage, nous pouvions juger de la richesse forestière de notre pays et des ressources de nos arsenaux ; partant il n’était nullement besoin d’amonceler à si grands frais dans des fosses d’immersion, ces approvisionnemens de prévoyance indispensables aujourd’hui, mais dont le déchet à long terme ne peut-être évalué à moins de 15 pour 100. Dans un accès de ferveur, la liberté supprima ce droit et la lutte s’établit bientôt dans nos forêts entre la marine et les particuliers, On voit aujourd’hui des pièces de bois courbans, si précieuses que nos constructions navales les paieraient jusqu’à 250 fr. le stère, employées par l’industrie à des usages auxquels suffirait la plus vile bûche. Par un dédain vraiment inqualifiable, de ses intérêts, l’état lui-même n’a pas réservé dans ses propres forêts le droit de la marine. Qui donc, en fin de compte, solde au budget l’énorme perte qui en résulte ? Le chêne de France est le meilleur du monde pour bâtir des vaisseaux, nous n’en exceptons pas même le chêne d’Angleterre ; il n’a son équivalent que les forêts de la Sardaigne et de l’Illyrie, et c’est un irréparable malheur que de laisser gaspiller ou s’amoindrir nos ressources forestières. Depuis la suppression des registres de martelage, la marine n’a plus aucun moyen d’apprécier exactement ses ressources : elle se voit réduite à diviser le sol de la France en vingt-six bassins forestiers, où elle met en adjudication la fourniture de ses ports, et elle sire de l’importance de ces bassins par la valeur des soumissions qui lui sont faites ; mais ensuite que de rusés de la part des fournisseurs pour éluder leurs engagemens ! et, dans la lutte ainsi établie, c’est toujours l’intérêt de l’état qui succombe.