Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/422

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sentiment de péril semble étranger à ces vaisseaux à l’ancre ! L’hôpital de Saint-Mandrier, qu’on découvre à l’entrée quand on vient de la haute mer, avec son temple grec, sa coupole, ses colonnades, reporte la pensée vers les heureuses régions de l’Orient, dont le ciel de la Provence reflète ici l’éclat. Qu’on franchisse en canot la chaîne de la vieille darse, sous la grue gigantesque où vont se mâter les vaisseaux, parmi ces bateaux à vapeur qui chargent du charbon à la hâte, au milieu de centaines de barques qui vont, viennent et se croisent en tout sens, en face de ces nobles vaisseaux alignés au repos, tous porteurs de quelque grand souvenir ; qu’on prenne pied sur ce quai où la vie circule jeune, active, ardente, pleine de bruit et d’éclat, dans cette foule d’aspirans et d’enseignes étincelans d’armes et d’épaulettes d’or, je ne sais quelle exaltation vous monte au cœur et, en dépit du vif sentiment qu’inspirent les malheurs du pays ; on se prend à rêver gloire et grandeur nationales.

L’établissement maritime de Toulon attend, nous l’avons dit, un complément essentiel : vingt fois il a été question de creuser une troisième darse, un troisième bassin à l’ouest des deux autres, dans la plaine de Castigneau, où déjà l’on a fait un dépôt de charbon, d’y fonder en un mot un arsenal à vapeur complet ; vingt fois les plans en ont été faits et approuvés ; nous les avons sous les yeux ; l’esprit s’impatiente cet s’indigne de tout atermoiement nouveau. D’instinct chacun pressent que, dans l’éventualité d’une guerre maritime, plus d’une scène décisive se passerait dans la Méditerranée, et Toulon, l’épée de la France sur cette mer, resterait comme un arme de musée en face des engins destructeurs de la marine moderne ! Autant vaudrait lancer les chevaliers des croisades contre l’artillerie des Prussiens et des Russes.

Toulon a aussi sa succursale. Une longue pratique de la navigation avait appris que, pour se rendre des côtés de la Provence à la province d’Oran, il y a le plus souvent avantage, au lieu de couper droit à travers la Méditerranée, à suivre les contours de l’Espagne dans une mer plus abritée et traversée, comme sous les tropiques, par les brises alternatives de la terre et du large. La marine à vapeur y trouve particulièrement son compte, car elle doit éviter avant tout la grosse mer. Sur cette route ; à cinquante lieues environ de Toulon, derrière un promontoire détaché des derniers contreforts du Canigou, on rencontre une crique au fond de laquelle s’élève Port-Vendres. À l’extérieur, les navires n’ont pour mouiller qu’un étroit plateau terminé par un flanc abrupt ; là, les vents du sud les battent en côte ; heureusement un contre-courant les rejette au large et diminue le danger. Les mêmes vents poussaient au fond du port de grosses vagues, mais il a suffi d’une simple jetée pour en amortir l’effet et pour y ménager un petit abri où peuvent se blottir quelques bateaux à vapeur. Situé en dehors du