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première de toutes les capacités électorales et elle a par elle-même une admirable vertu conservatrice ; mais n’admettre aucun autre titre de capacité est une exagération insolente et pleine de périls. On nous répondait que l’introduction de ce qu’on appelait, alors les capacités dans la liste électorale l’augmenterait tout au plus de soixante, de quatre-vingt ou de cent mille électeurs, et que c’était bien peu de choses Si c’était si peu, pourquoi le refuser, et en le refusant soulever des tempêtes ? Mais ce n’était pas si peu, c’était la conquête d’un grand principe, le principe de la valeur et des droits de l’intelligence.

La réforme parlementaire et la réforme électorale formaient donc à l’opposition un thème simple et grand, un programme modéré et raisonnable et, on le comprend, très populaire. Les cent mille électeurs nouveaux que nous demandions nous soutenaient naturellement de leurs vœux et de leur influence, et s’agitaient pour notre triomphe, dans lequel ils montraient aux classes inférieures un progrès considérable qui en promettait beaucoup d’autres. De là des espérances qui s’étendaient de proche en proche à la nation presque entière, et rendaient vraiment nationale la cause de la réforme.

Cette cause était si bonne qu’elle conquit peu à peu tous les suffrages indépendans. Le président du conseil était presque ouvertement pour la réforme. La plupart des hommes éclairés du parti conservateur pensaient comme lui. Un des plus habiles, M. de Morny, publia un remarquable article dans la Revue des Deux. Mondes, où il pressait vivement le ministère de déférer au vœu général ; mais, dans le sein de la majorité, il s’était formé un petit parti sans talent, présomptueux, violent, qui repoussait toute concession et intimidait la majorité conservatrice. C’est ce parti qui a égaré et perdu le gouvernement.

On a bien voulu reconnaître que j’avais été modéré dans les rangs de l’opposition. Je n’avais pas admiré la campagne des banquets, et, avec la plus grande partie dames amis, j’avais refusé d’y prendre part. En Angleterre, je n’aurais pas hésité à entreprendre cette agitation pacifique qui est dans les mœurs et les habitudes des peuples libres. M. Thiers, M. de Rémusat, M. Dufaure, M. Passy, M. de Tocqueville, et bien d’autres, nous pensâmes qui le tempérament de la France n’admettait pas l’emploi de pareils moyens, d’influence. Ajoutez que des fautes d’un autre genre, réelles ou apparentes, et l’éclat de procès déplorables avaient porté des coups funestes à la considération du gouvernement dans l’esprit et l’imaginations des peuples. Enfin, nous n’ignorions pas qu’un parti ennemi s’était formé sur les derrières de l’opposition, et manœuvrait non sans quelque habileté pour mettre à profit toutes les circonstances. Je le demande : en de telles conjonctures, la prudence la plus vulgaire ne conseillait-elle pas des concessions bien définies et un changement de cabinet ?