Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conçut. L’assemblée populaire de Francfort ’émettait le vœu suivant dans une décision célèbre : « La diète exprime le ferme espoir, que le gouvernement prussien garantira en toute circonstance la nationalité des Allemands établis dans le grand-duché de Posen. »

Soustraire la Pologne à son sort déplorable était une tâche au-dessus de l’effort de la lance : M. de Saint-Priest le prouve avec une rigueur de logique toujours appuyée sur une vue claire et certaine des choses. Et de fait, la Pologne succomba moins encore sous la coalition de ses puissans voisins que par les vices de rapport existant entre sa situation intérieure et la situation des autres pays supérieurement organisés. À la fin du XVIe siècle et dans le courant du XVIIe, une grande transformation s’était opérée chez les nations européennes. En Angleterre, la monarchie constitutionnelle s’établissait, appelant le peuple à la vie politique ; presque partout ailleurs la monarchie pure héréditaire triomphait des dernières résistances de la féodalité. De là une double force pour les états, d’une part dans l’émancipation des masses, de l’autre dans la suite des desseins et la concentration de la puissance. Or, en présence de ce mouvement de progrès général, la Pologne s’attarda dans le passé et conserva, avec sa royauté élective, l’indépendance rebelle de ses grands cantonnés en souverains locaux dans leurs domaines ; l’abrutissante servitude de ses populations assujéties à la glèbe, — continuant à réunir l’incertitude des républiques, l’anarchie des pays fédérés, la faiblesse incurable qui résulte de l’oppression. Une pareille obstination dans l’immobilité dictait, pour la malheureuse nation, l’arrêt des destins futurs, arrêt fatal que personne au monde n’eut pu conjurer. Ce qui se meut a sur ce qui s’arrête des droits douloureux, mais inflexibles : les droits terribles, de la vie sur la mort.

Le tableau de la création de la Nouvelle-Russie nous est présenté par M. de Saint-Priest comme un heureux contraste à la triste peinture du désastre final de la Pologne. Peu d’années après le partage, après cette crise suprême, suite inévitable d’un ordre de choses qui chez le peuple polonais divisait le pouvoir et le rendait précaire, qui confondait dans les mêmes mains la seigneurie et la propriété, une ville importante s’élevait non loin de la Pologne, et des contrées sauvages, s’animaient sous l’influence d’une autorité secourable et tutélaire. M de Richelieu et de Maison présidèrent à l’œuvre féconde qui, d’un amas de huttes, fit sortir Odessa, qui fixa les hordes vagabondes des Tartares Nogais en colonies stables sur le sol, qui, dans un pays où les steppes et le désert s’étendaient à l’infini, fit fleurir l’agriculture autour des villages, l’industrie et le crédit commercial dans les villes. Solennel enseignement pour nous, que ce spectacle d’une contrée barbare naissant à la civilisation en regard du naufrage voisin d’un peuple héroïque ! On voit éclater là dans leur pressante évidence ce que contiennent de menaces et de périls l’instabilité du pouvoir, la confusion des idées de souveraineté et de domaine, ce que portent au contraire de promesses et de fruits la protection forte venant en aide à la bonne volonté, la propriété assurée à l’effort résolûment soutenu qui la conquiert ! Le livre de M. de Saint-Priest est plein de ces enseignemens que l’auteur excelle à présenter dans une forme où les qualités, de l’historien viennent heureusement s’unir à celles du moraliste.