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traditionnelle des Anglais n’ont chez nous leur sol véritable. D’apparentes analogies dans le passé ou dans le présent, alors même qu’un événement imprévu viendrait les rendre plus marquées, ne changeraient rien au fond résistant des réalités dissemblables. Quant à un Monk ou à un Washington, il n’y faut pas songer. Le désintéressement patriotique, la froide résolution du président américain, l’attente calculatrice, l’égoïsme imperturbable du général anglais, ne sont pas les fruits d’une terre où la furie du désir, l’ambition emportée, ne supportent ni prudente demeure, ne entière abnégation, ni calcul taciturne, ni éternel artifice.

La leçon historique, directe jusqu’à l’évidence dans le Monk de M. Guizot, montre plus retenue dans un livre qui a pour nous aussi un intérêt d’enseignement, les Études Diplomatiques de M. Alexis de Saint-Priest[1]. Il a là un tact et une précision qui rappellent le XVIIIe siècle. Divers de nature et publiés à différentes dates, plusieurs des récits recueillis par M. de Saint-Priest ont pu être lus et appréciés ici même. Deux arrêteront particulièrement notre attention : le Partage de la Pologne en 1772 ; la Nouvelle-Russie et le duc de Richelieu. Le partage de la Pologne a déterminé en France, des conflits orageux d’opinion toujours près de renaître, et dont il faut, dût-on y revenir vingt fois, détruire le prétexte pour en éviter le retour. En regard de la déchéance nationale de la Pologne ; la rapide prospérité de la Nouvelle-Russie forme un contraste significatif, et sur lequel il est bon d’insister.

Les malheurs qui, sous le règne de Louis XV son gendre, frappèrent le pays où régna Stanislas Leczinski, ont long-temps servi de thème à des déclamations sans fondement, quelquefois : même de prétexte à des intentions coupables. Quels desseins peut couvrir la légitime sympathie qu’ils inspirent, on l’a vu au 15 mai ; à quels mensonges, historiques ils ont donné lieu, on va en juger. C’est une accusation devenue banale à force d’être accréditée, que l’ambition moscovite fut la première cause du démembrement de la Pologne, et que la France, qui pouvait empêcher le démembrement, fut le lâche complice de l’ambition qui le provoqua. Rien de plus faux et de plus contraire à la raison. La Russie, qui, du droit d’une influence prépondérante, disposait de la république royale, devait préférer la domination exclusive sur le tout, avec la secrète espérance de se l’approprier un jour, à une division prochaine qui diminuerait sa part de celle qu’il faudrait concéder à des états rivaux. L’Autriche même avait plus d’intérêt au partage que la Russie ; la Prusse y trouvait plus d’avantages que personne : ses provinces, coupées en deux par les possessions Polonaises, l’impérieux besoin d’agrandir ses états pour élever sa force au niveau de ses désirs, lui conseillaient également le partage de la Pologne. Cela établi, toute la question est de savoir si les actes furent d accord avec les intérêts. M. de Saint-Priest le démontre pièces en main, ne laissant pas plus de refuge d’ailleurs aux esprits qui se nourriraient d’illusion pour l’avenir qu’à ceux qui caressent l’erreur dans le passé. Le coup qui tua la Pologne fut une pensée d’origine germanique, et, après un siècle, cette pensée se retrouve aussi vivante au cœur des générations nouvelles que dans la tête du monarque qui la

  1. 2 volumes in-8o, chez Aymot, rue de la Paix.