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cette union, sous sa meilleure forme, sous sa forme la plus sincère et la plus utile, c’eût été l’incorporation absolue des petits états de l’Allemagne avec l’état prussien ; mais, puisque le malheur des temps et les fautes des hommes ne laissent plus à la Prusse le loisir de l’opérer en ces termes, la seule ressource qui reste pour empêcher l’Autriche de la rendre à jamais impossible, pour la préparer insensiblement en réservant l’avenir, c’est de retourner provisoirement encore au passé, c’est de replacer l’Allemagne sous le régime fédéral d’avant 1848 ; et de ressusciter toujours jusqu’à nouvel ordre la vieille diète diplomatique instituée à Francfort par le pacte de 1815. L’auteur des Conférences de Dresde suit ainsi, dans la marche de son livre, l’ordre singulier que M. de Radowitz semble avoir suivi dans les phases de sa politique. M. de Radovitz avait failli lancer la Prusse en pleine guerre européenne à la fin de l’an dernier, que de céder aux injonctions de cette diète de Francfort restaurée tout exprès par l’Autriche pour contrarier ses plans de remaniement universel ; c’est lui néanmoins qui, dans les hautes régions où son influence s’exerce avec une magie si particulière, aura peut-être décidé le soudain revirement par lequel la cour de Potsdam préfère aujourd’hui rentrer dans l’ancien concert germanique en siégeant à Francfort plutôt que de continuer à Dresde les négociations qui devaient refondre l’Allemagne.

ALEXANDRE THOMAS.


La Suisse, malgré tout ce qui la limite et la gêne, a une vie très complexe et plus variée qu’on ne le croit ordinairement. Il en est d’elle, à cet égard, comme de son sol accidenté : de loin, ce n’est qu’une haute muraille rocheuse fermant la plaine ; mais, quand on s’en approche, on est tout étonné de voir cette muraille s’ouvrir et dérouler successivement à vos yeux des lacs, des coteaux, des vallées, mille plis et replis de terrain. Dans son étroite enceinte, la Suisse a su trouver de l’espace pour des genres d’activité fort divers ; touche à tout par quelque côté. En politique, elle a sa part des grands orages, des tempêtes générales qui, avant de fondre sur l’Europe, s’amoncellent sur ses montagnes comme pour s’y essayer et y prendre le vent dans un ciel plus ouvert : c’est là une moisson dont plus d’une fois elle a eu les primeurs ; mais, outre ces fruits exotiques, elle a aussi les siens propres en fait de révolutions. Elle a ses partis, ses clubs, ses orateurs, ses journaux, ses guerres de plume et de tribune sans parler des autres, ses assauts de places et de fauteuils, bref tous les élémens de cette lutte incessante, de cette lutte à mort qui est, dit-on, l’ame et le progrès des sociétés. Voilà même sa vie la plus apparente ; ce n’est pas la seule cependant.

À force de persévérance, de tenue et de prudente audace, son industrie a su franchir tous les obstacles d’une position qui place la Suisse au cœur de l’Europe, mais qui semblait devoir l’y enfermer. Ses fabricans, comme autrefois ses guerriers, ont héroïquement gagné leurs batailles avec de faibles ressources et un petit nombre de bras. chose bizarre, pour ne citer qu’un ou deux exemples, c’est elle, du fond de ses montagnes, qui habille de ses cotonnades aux couleurs éclatantes une partie des Turcs et des Persans, qui travaille les bijoux dont se parent les favorites des harems, qui fournit aux petits-maîtres chinois ces montres de couleur noire et montées par paires comme des pendans