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ralentir ses escomptes sans provoquer des catastrophes qui auraient amené le naufrage universel des fortunes et du crédit. Dans une telle situation, engagée comme elle l’était, et tenue de réserver ce qui lui restait de forces pour venir au secours du commerce et de l’industrie, la Banque n’aurait jamais songé d’elle-même à prêter au trésor, envers lequel il lui devenait déjà bien difficile d’acquitter sa dette ;

Depuis cette époque, les opérations de crédit ont diminué de jour en jour. La France, peu rassurée sur l’avenir, revient insensiblement aux procédés qui marquèrent l’origine des sociétés commerciales : les transactions ne se font plus qu’au comptant. On troque l’argent contre la marchandise ; avec la confiance disparaît ou s’annule la valeur des personnes ainsi que des institutions de crédit. La Banque de France va tous les jours s’affranchissant davantage de ses engagemens commerciaux. Le portefeuille qui après la réunion des banques départementales à l’établissement central, s’élevait encore à 327 millions le 18 mai 1848, et à 165 millions le 11 janvier 1849, n’était plus, le 12 juillet suivant, que de 126 millions ; la moyenne du portefeuille à Paris pendant l’année 1850 n’a pas excédé 29 millions ; à ce taux et à quelques, millions près, il reste aujourd’hui stationnaire.

L’émission des billets a pris, il est vrai, un développement très remarquable ; mais elle n’ajoute rien à l’étendue de la circulation et ne fait que remplacer les espèces, elle se trouve couverte et au-delà par l’encaisse métallique, qui n’a pas cessé un instant de s’accroître comme à vue d’œil. Le 18 mai 1848 ; les billets émis s’élevaient à 403 millions ; le 15 novembre 1849, ils atteignaient, à 5 millions près, la limite légale de 452 millions ; le 16 mai 1850, sous l’empire de la loi qui élevait cette limite à 525 millions, la circulation était de 482 millions, et le 3 avril 1851, avec la liberté sans limites, de 524 millions et demi. Suivons maintenant le progrès de la réserve, en numéraire elle est de 115 millions le 18 mai 1848, de 194 millions au mois d’août suivant, de 269 millions le 11 janvier 1849, de 348 millions à la fin de juillet, de 423 millions à la fin de décembre, de 471 millions le 18 mai 1850, et de 539 millions le 3 avril 1851. Ainsi, pendant que la circulation accroissait de 121 millions ou de 30 pour 100, l’encaisse métallique s’élevait de 115 millions à 539 millions, ce qui représente un accroissement de 369 pour 100. À l’heure qu’il est, la Banque de France n’est pas seulement le plus puissant réservoir de numéraire qui existe dans le monde entier[1] ; elle absorbe et ne tardera pas à renfermer la richesse disponible de la France.

Si le public commerçant abandonne la Banque, si la somme des effets escomptés par cet établissement égale à peine celle des valeurs

  1. La réserve métallique de la banque d’Angleterre s’élevait, le 8 mars dernier, à 14,423,685 livres sterling (361 millions de francs). Sa circulation active excédait 474 millions de francs, et ses comptes courans (deposits) 435 millions de francs.