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et celles-ci s’étendent très loin et très bas dans la nation, s’alarment et retirent leur approbation et leur appui. Ou bien on les comprime par la terreur en déchaînant la multitude ignorante et passionnée, ou elles finissent par redresser le gouvernement et par l’entraîner dans de meilleures voies, comme à la fin du directoire et au milieu de 1848. Le gouvernement abandonne-t-il les principes de 1789 et l’esprit de la révolution : la France, dans toutes les classes éclairées, fortifiées alors du redoutable concours des passions populaires, d’abord désapprouve, puis se plaint, et, si elle n’est pas écoutée, déclare de plus en plus son mécontentement mais, bien loin d’être impatiente, elle attend long-temps, elle supporte beaucoup. Un rien la ramène ; un peu d’espoir lui rend sa sérénité. Comme elle est sûre de l’inévitable triomphe des principes de 1789, disons mieux, comme elle en jouit depuis le consulat, grace aux lois civiles qui ont fait passer ces principes, dans la pratique de tous les jours et dans les détails de la vie, elle est plus tentée de se moquer que de se fâcher des essais impuissans de contre-révolution. N’attendant rien de révolutions nouvelles, après celle qui dispense de toute autre, dès qu’elle les voit poindre à l’horizon, elle les signale au gouvernement avec un effroi et une colère prophétique ; elle ne les subit qu’avec douleur et à la dernière extrémité.

Un coup d’œil impartial jeté sur l’histoire de ces cinquante dernières années suffit à montrer la longanimité de la France, et la venge aisément de ses calomniateurs. Je ne vais dire que des choses bien connues de tout le monde, et que j’ai vues moi-même de mes propres yeux.

Mon intelligence s’est éveillée sous le consulat : je me souviens très distinctement de cette grande époque où la France triomphante, unie, tranquille, s’empressait autour d’un gouvernement qui professait hautement les principes de 1789, et les appliquait avec fermeté et avec sagesse dans les lois et dans l’administration. Le général Bonaparte avait sauvé la révolution le 13 vendémiaire, et depuis il l’avait couverte de gloire. Il avait mérité d’en être le chef, le premier magistrat, consul ou empereur. On savait qu’il ne rendrait la France ni à la contre-révolution ni à l’anarchie ; on lui remettait donc avec confiance la cause du pays et du siècle ; on applaudissait, on s’associait à tous les actes de son gouvernement comme à ses victoires. Jamais l’aurore d’un siècle ne s’est levée plus sereine. J’ai vu ces beaux jours, ils ne s’effaceront jamais de ma mémoire. Le premier consul montra sans doute une habileté profonde et une merveilleuse prudence dans la transformation et l’agrandissement de son pouvoir ; mais c’est le pays tout entier qui le poussa du consulat à l’empire. La France aurait voulu éterniser un gouvernement aussi fort et aussi modéré, aussi libéral et aussi sage, et qui avait fait d’elle un monument magnifique à l’honneur de la révolution