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se fût enhardi jusqu’à le dégager de ses mystérieuses enveloppes, il aurait été obligé de convenir qu’il voulait donner à la Prusse la direction des intérêts allemands. Cette idée était populaire de Cologne à Berlin ; le grand développement de la philosophie et des sciences, l’incontestable supériorité de l’Allemagne du nord sur les natures insouciantes du midi, avaient exaltée depuis un demi-siècle la fierté naturelle de l’esprit prussien. La Prusse se croyait, par le privilège de la pensée, par le droit de l’intelligence et du progrès, la légitime souveraine de l’Allemagne, une souveraine obligée encore par une vieille habitude de compter avec l’Autriche, mais bien décidée à faire cesser le partage. Seulement cette suprématie tant désirée, M. de Radowitz voulait que la Prusse s’en emparât au profit des idées monarchiques et religieuses, au profit e la grande autorité tout ensemble royale et mystique dont son imagination lui retraçait d’avance la splendeur. L’autorité et la religion, c’était la catholique Autriche qui les avait représentées jusque-là ; mais l’Autriche semblait devenue trop étrangère au mouvement des esprits en Allemagne pour que la prééminence pût désormais lui appartenir. D’un autre côté, la Prusse, à qui une telle ambition était permise, devait-elle la réaliser dans l’intérêt du radicalisme ? M. de Radowitz ne le pensait pas. Il prétendait emprunter à l’Autriche le dépôt des traditions d’autorité et à la Prusse son intelligente hardiesse ; de ce mélange, pensait-il, naîtrait une nouvelle Allemagne dont la Prusse serait le centre et posséderait l’empire. Nous touchons ici au fond même des conceptions politiques de M. de Radowitz. Ce système étrange explique toutes les incertitudes, toutes les contradictions du célèbre homme d’état. C’est ainsi que, sur bien des points, il était d’accord avec les esprits les plus audacieux de la Prusse, et qu’il était forcé néanmoins de se séparer d’eux presque aussitôt. Il voulait, avec les libéraux prussiens, avec les continuateurs du baron de Stein, avec les disciples de Hegel, avec les universités de Berlin, d’Iéna, de Bonn, de Halle, de Kœnigsberg, que le gouvernement de l’Allemagne fût la récompense accordée au plus digne, c’est-à-dire au plus éclairé, au plus hardi, au plus allemand des peuples allemands ; mais cette récompense, était-ce l’esprit constitutionnel ou même l’esprit hégélien qui allait la décerner à la Prusse ? Non certes ; M. de Radowitz ne l’entendait pas de cette façon. Ce gouvernement préparé en Prusse par le progrès de la civilisation, il fallait, pour le recevoir et le porter dignement, une grande monarchie restaurée sur ses bases et entourée comme le saint-empire de tous les prestiges de la foi. M. de Radowitz, avec les transports de l’amitié et l’ardente fidélité du sujet, saluait dans Frédéric-Guillaume IV celui que la Providence avait destiné à ce glorieux rôle. Le prince était digne du conseiller : même ferveur, même enthousiasme, même, confiance dans la sublimité de leur mission ; celui-ci était le prophète, celui-là était l’oint du Seigneur.