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des lettres et du génie pour le disputer en scélératesse à César Borgia lui-même.

Dans une autre occasion, M. Ticknor revient sur cette ferveur religieuse et cette loyauté, c’est-à-dire le dévouement au souverain, qui dans son opinion forment les traits distinctifs du caractère espagnol. « On ne doit pas attribuer, dit-il, l’intolérance des Castillans et leur fanatisme à l’inquisition, pas plus que le despotisme du gouvernement aux manœuvres d’une cour corrompue. Au contraire, l’inquisition et le despotisme furent plutôt le résultat d’une exagération fatale de la ferveur religieuse et de l’amour pour la monarchie[1]. » Voilà encore une de ces assertions qu’on devrait laisser aux gens qui croient, que tous les Espagnols portent des résilles et des fraises. Celle-ci ne mérite pas l’examen. Historiquement, la loyauté ou le respect quand même du souverain n’a commencé en Espagne que vers la fin du règne de Charles V. Après la terrible répression de la révolte des comuneros, Charles V et Philippe II prirent la peine de faire l’éducation de leur peuple. Quant à la ferveur religieuse, on ne la voit poindre qu’après l’établissement de l’inquisition sous Isabelle-la-Catholique. Jamais auparavant on ne trouve trace de l’intolérance des Espagnols. Pour ne pas remonter aux secours fournis par un roi d’Aragon à l’hérésie albigeoise, on voit long-temps après, dans le XIVe siècle et même au commencement du XVe, que les trois religions qui se partageaient la Péninsule subsistaient sans querelles. Les rois de Castille prenaient des Juifs pour leurs trésoriers et leurs médecins, des Maures pour leurs ingénieurs et leurs architectes. Personne ne refusait le don à un riche Israélite ni à un émir musulman. Je ne vois aucune trace de persécution, si ce n’est dans les prises de villes, où le vainqueur pillait de préférence le quartier juif, et il est permis de douter que le fanatisme y eut autant de part que la cupidité. Mais si l’inquisition ne fut pas l’expression outrée du catholicisme espagnol, comment supposer qu’un peuple si fier et si généreux se soit soumis à un joug qui répugnait à son caractère ? L’explication de ce problème historique c’est, je crois, dans l’aversion profonde que les Espagnols portent depuis un temps immémorial aux étrangers. À leurs yeux, les Juifs et les Maures furent toujours des étrangers, bien qu’ils parlassent souvent la même langue que les chrétiens, et leur religion était odieuse, surtout parce qu’elle était comme le signe de leur origine. Les Maures vaincus, les Espagnols s’aperçurent avec rage que s’ils avaient triomphé de leurs adversaires, ces derniers conservaient néanmoins un ascendant extraordinaire par leurs richesses. Et remarquons qu’aux yeux du peuple, ces richesses n’étaient qu’un butin fait autrefois sur lui-même

  1. Tome II, page 470.