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la tribu qui recevait l’émir fugitif. L’émir, au lieu de défendre ceux qui s’étaient compromis pour lui, les abandonnait à notre vengeance et allait demander asile à une autre tribu. Celle ci, sachant à quoi l’exposait cette hospitalité dangereuse, refusait de recevoir l’émir. Dans ce cas, Abd-el- Kader > pressé par la faim, était obligé de piller pour vivre : la tribu pillée par lui se défendait ; le saint marabout n’était plus alors qu’un maraudeur vulgaire. C’est ainsi que toutes les tribus qui les premières s’étaient armées dans le Tell en faveur d’Abd-el-Kader ou de Bou-Maza furent aussi les premières à les repousser à coups de fusil vers la fin de la campagne.

Le désert restait à l’émir ; mais le maréchal savait fort bien que les tribus du désert, une fois leurs communications interceptées avec le Tell, se verraient obligées de rejeter elles mêmes Abd-el-Kader de leur sein pour ne pas être exposées à mourir de faim. Cela ne manqua pas d’arriver. Les Arars se soumirent au général Lamoricière avant même que celui-ci les eût atteints ; et les Ouled-Naïls se virent bientôt dans la nécessité de suivre leur exemple. Ces deux confédérations du désert occupent, de l’ouest à l’est, une lisière de cent lieues d’étendue sur les penchans du Grand-Atlas ; le Tell leur fournit leur approvisionnement de grains. Repoussé du Tell, rejeté du désert, ne sachant plus où se cacher, ne trouvant plus où s’abriter, il était inévitable qu’Abd-el-Kader, au bout d’un temps donné, voyant le sol de l’Algérie manquer partout sous ses pieds, serait forcé de se rendre, comme allait le faire Bou-Maza, si le Maroc lui refusait un asile. En vain, désespérant de la résistance, voulut-il prêcher l’émigration : les tribus sédentaires des montagnes n’avaient garde de le suivre dans le Maroc, et, quant aux tribus de la plaine qui essayèrent de gagner les bords de la Mouilah, atteintes par nos colonnes dans le trajet ou bien recueillies par le général Cavaignac sur la frontière, elles furent obligées de revenir sur leurs pas, décimées et ruinées.

Cette campagne dura six mois, sans un seul jour de repos pour nos colonnes, sans un instant de répit pour les tribus insurgées. Nos soldats rentrèrent dans leurs divisions, exténués par les privations et les fatigues, mais l’Algérie était définitivement pacifiée. Et cependant, aux yeux du maréchal, la conquête même alors n’était pas achevée il restait, comme point d’intersection entre la province d’Alger et celle de Constantine, ce grand massif du Djerjera, qui était en même temps pour nos armes une menace et un défi. Le maréchal l’avait abordé plusieurs fois, et même durant la précédente campagne, où tant d’autres soins l’avaient occupé, il n’avait pas un seul jour quitté des yeux la Grand-Kabylie : c’était pour lui la Carthage à détruire. Il disait à tout propos que jamais la possession de l’Algérie ne serait assurée tant que le Djerjera resterait indépendant, que cette indépendance