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à mesure qu’ils arrivaient. Une charge de cavalerie détermina la déroute des Kabyles : on les vit se couleur à travers les escarpemens où nos cavaliers ne pouvaient les poursuivre, où nos obus rebondissaient au-dessus de leurs têtes. Malheureusement, les escadrons du général Korte, laissés en réserve, n’étaient pas encore arrives dans la vallée de l’Oued-el-Ksab pour les y recevoir. Il fallut revenir sur le front d’attaque, où les Kabyles avaient reflué, pendant que le général Gentil descendait au camp. Prenant ce mouvement pour une retraite, l’ennemi dispersé se rallia Le maréchal, debout sur un petit plateau découvert et exposé de toutes parts aux balles des Kabyles épars autour de lui en tirailleurs, ordonna aux compagnies à sa portée de ne point répondre au feu et de se masser en colonne. Les Kabyles enhardis s’avancèrent ; une charge à la baïonnette les culbuta dans les précipices. La bataille arisait terminée, quand un contingent de trois mille hommes arriva du sud aux tribus engagées, probablement conduit par Ben-Salem. Les Kabyles revinrent à la charge, comme nous installions le bivouac auprès d’une fontaine au delà de la vallée. Les nouveaux venus y arrivèrent en même temps, abrités par un mamelon boisé qui les cachait à nos yeux. Une compagnie du 48e essuya leur première décharge à portée de pistolet. La compagnie, fort maltraitée, revint au feu, protégée par un bataillon accouru à son secours. L’artillerie fit le reste. Cette bataille durait depuis quatorze heures ; les Kabyles laissèrent onze cents cadavres à travers les rochers. Nous eûmes cent trente morts et blessés. Quelques jours après, les Flittas se résignaient à notre domination.

Telle fut notre première expédition dans la Kabylie ; telle fut cette campagne audacieuse que nos hommes politiques redoutaient comme on redoute l’inconnu. Les troupes françaises avaient pu compter chemin faisant, plus de cent villages, elles avaient traversé les plus belles montagnes de la terre. Deux combats et quinze jours avaient suffi pour y faire reconnaître notre domination. Cependant le maréchal Bugeaud, à peine de retour à Alger, devait courir aux frontières du Maroc, où les intrigues d’Abd-el-Kader avaient amené une armée marocaine à l’appui de sa cause. Nous n’avons pas à nous occuper de cette rapide campagne, si bien racontée par le maréchal lui même[1].

Du reste, si le maréchal donnait à la guerre d’Afrique l’importance qu’elle avait en réalité, il faisait peu de cas des victoires qu’on y pouvait remporter. Il disait souvent, et nos colonnes le prouvaient chaque jour, qu’une force cohérente et disciplinée aurait toujours raison, si minime qu’elle fût, de toutes les multitudes armées que les Arabe avaient à nous opposer. La victoire était pour lui une certitude mathématique il rédigea le bulletin d’Isly la veille de la bataille, et l’événement

  1. Dans cette Revue n° du 15 mars 1845.