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une physionomie particulière ; et par un caractère spécial : ce sont la généraux Lamoricière et Changarnier. Le premier, c’est l’homme des razzias et des courses brillantes ; le second, c’est l’homme des précipices et des combats de montagne.

M. le général de Lamoricière a successivement étonné de sa valeur les trois provinces de l’Afrique française, et dans chacune les Arabe lui ont donné un surnom de guerre différent, croyant que le même homme n’avait pu suffire à tant d’exploits. C’est la témérité intelligente et l’activité curieuse en personne. Il se fera débarquer tout seul sur le rivage de Bougie pour reconnaître la place ; puis, le plan levé, il saluera les balles qui l’accueillent, et se rendra tout d’un trait à Toulon pour presser l’embarquement d’un corps expéditionnaire. À l’assaut de Constantine, où il monte le premier, il sautera par-dessus une mine qui éclate ; au col de Mouzaïa, il franchira un précipice qui le sépare de la redoute qu’il faut prendre. Il passera d’une arme à l’autre, comme il passe de Constantine à Oran, du littoral au désert, propre à tout présent partout. Il ne s’arrête nulle part, pas même à Mascara, où l’hiver et l’ennemi le bloquent et où d’une garnison bloquée il fait une colonne d’opérations actives. Il quittera la direction d’un bureau arabe pour prendre celle d’un régiment ; mais, dans l’intervalle, il se sera familiarisé avec la langue des Arabes, afin de mieux connaître leur caractère, afin surtout de surprendre le secret de leurs ruses et de leurs stratagèmes. Que le maréchal Bugeaud se hâte d’organiser la colonne mobile, le général Lamoricière attend !

Quant au général Changarnier, le maréchal Bugeaud qui s’y connaissait, le surnomma le montagnard, et les Kabyles, qui l’ont mieux connu encore, l’appelleront le dompteur. Celui-là vit dans le danger comme la salamandre dans la flamme. L’offensive, sur quelque terrain et dans quelque condition qu’il se trouve, lui parait être de rigueur. À la retraite de Constantine, environné et pressé par des nuées d’Arabes, il jugera la partie égale, trois cents contre trois mille, et, formant son bataillon en carré, il commandera le feu comme s’il faisait faire l’exercice à des soldats novices. Au col de Mouzaïa il trouvera facile d’escalader une batterie qui a pour affût les broussailles d’un piton de quinze mètres de haut. Au bois des Oliviers, il lancera une poignée de soldats contre des milliers de Kabyles qui occupent tout le plateau, et, trouvant scandaleux que ces pelotons décimés aient rebondi cinq fois en arrière sans pouvoir pénétrer cette masse compacte, il commandera obstinément une sixième charge, au point que ses soldats, voyant bien qu’il n’en démordrait pas jusqu’à ce que tous eussent péri, sont obligés de s’emparer du maudit plateau par rage et dépit. À l’Oued-Foddha, il engagera sans hésiter une colonne de douze cents hommes dans une gorge étroite de trois lieues de profondeur,