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des armes, la main frêle, et blanche de l’émir oriental, Celui-ci, plein de protocoles gracieux dans son langage, d’un aspect élégant, souriant dans son apparente faiblesse, gardait en lui même le secret de sa force pour s’en servir au moment opportun. Vous souvenez-vous de Richard abattant un palmier d’un coup, de sabre, et de Saladin qui lui répond en faisant volet en l’air un édredon de soie qu’il coupe en deux au fil de son épée ? Ils vous représentent le général Bugeaud et l’émir Abd-el-Kader.

Le maréchal Bugeaud était né soldat les qualités du capitaine ne devaient lui venir qu’en vieillissant. Ce n’est point un héros tout d’une pièce et de prime-saut, comme ces grands hommes de guerre que l’histoire présente tout faits à notre admiration dès la première page. Moins que personne, il pouvait se passer des leçons car sa conception était lente, difficile à se déplacer ; mais, aussi l’expérience devait avoir pour lui plus de fruits que pour tout autre, car ce qui le distinguait pardessus tout, c’étaient cette faculté d’analyse et cette perception du réel qui soumettent toute chose aux lois de la pratique. Les hommes qui ont le plus approché le maréchal Bugeaud se sont presque tous trompés sur la nature de son esprit. Ils lui ont cru l’intelligence prompte et vive, parce qu’ils l’ont vu ne jamais hésiter dans la délibération : aussi lui ont-ils cru de l’initiative, parce qu’ils l’ont vu souvent changer d’idées et de projets ; mais ce n’était point l’intelligence qui était rapide dans sa tête, c’était la volonté, c’était l’exécution. De même, s’il changeait soutient d’idées et de projets, ce n’était point par exubérance d’initiative, mais parce que l’expérience venant lui prouver souvent qu’il faisait fausse route, son ardeur d’exécution le portait aussitôt à poursuivre la réalisation d’un projet différent et même opposé au projet qu’il soutenait la veille.

S’il n’hésitait pas dans l’erreur, il n’y persistait pas long-temps du moins, car son extrême bon sens, finissait toujours par le faire revenir à la vérité. La faute commise ne tardait pas à se retourner dans son esprit en enseignement utile. Voilà comment, avec toutes les apparences de l’entêtement, il était moins entêté que personne. On l’a vu engager sa responsabilité dans le traité de la Tafna, qui était l’occupation restreinte de l’Algérie et presque son abandon ; mais, sitôt que l’événement lui a donné tort, au lieu de se buter par orgueil contre l’évidence, comme tant d’autres l’auraient fait, il poursuit avec une égale audace de responsabilité, l’occupation illimitée dans le désert et l’occupation complète dans la Kabylie.

Si nous. cherchions dans l’histoire un homme à comparer au maréchal Bugeaud, nous prendrions Blaise Montluc, ce héros familier dont les brutales allures vous repoussent de loin, mais dont la solide bonhomie vous attire invinciblement de près. En expédition le maréchal