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chevaux ; l’orge, la providence de cette guerre ! Mais les silos sont vides. On ne se décourage, pas pour si peu existe toujours des contre-silos (barani). Seulement l’essentiel est de les découvrir. Le seul moyen, c’est d’envoyer nos espions déguisés sur l’emplacement des silos ordinaires, lis tiennent conseil comme feraient des Arabes affamés. Le gardien (tammar), trompé par cette apparence, sort du trou où il se tenait caché et s’approche d’eux. Nos espions s’en emparent et le trou à l’orge est découvert. C’est ainsi que notre garnison de Mascara, sans approvisionnement et privée de toute communication avec nos autres postes, a pu subsister pendant cinq mois au milieu des tribus insurgées, au cœur même de l’hiver.

Il arrive bien des fois aussi que ces coups de main lointains ne réussissent pas. Les tribus, averties à temps de notre approche, se sont enfuies au désert, détruisant tout ce qu’elles n’ont pu emporter. Les vivres manquent, les munitions sont épuisées, les ambulances sont remplies. Il faut retourner en arrière. C’est alors que le moral du soldat est mis à une rude épreuve et que la responsabilité du chef est lourde. On a beau multiplier les cavaliers sur les flancs de la colonne, tant pour transmettre les ordres que pour veiller à la régularité de la marche : il suffit qu’un ordre soit mal compris, ou qu’il arrive trop tard, ou même que les sonneries ne soient pas exécutées à la fois dans les divers corps, pour qu’un de ces corps s’égare en marchant trop lentement ou trop vite en prenant une fausse direction ou bien en faisant un mouvement inopportun. Lorsqu’il y a solution de continuité dans la colonne, le ralliement devient à peu près impossible au sein de ces ondulations de terrain qui se ressemblent toutes. Les corps égarés tombent presque inévitablement dans les embuscades des Arabes toujours en éveil et partout cachés comme des bêtes fauves, guettant la proie attendue.

À quelles rudes épreuves une telle guerre soumet nos soldats, un détail caractéristique le fera comprendre. Sur dix soldats qui meurent en Afrique, un seul tombe sous les balles de l’ennemi ; les neuf autres succombent aux fatigues, aux privations, aux intempéries du climat. N’importe ! nos soldats entrent en expédition en chantant. Ils ont devant eux en moyenne dix journées de marche consécutive, à raison de douze lieue par jour[1]. On arrive ainsi au pays de la soif. Si les bidons sont vides, il faut souvent parcourir de grandes distances avant, de trouver de l’eau en creusant le sol. On marche le jour ; on marche la nuit ; on serre les rangs pour ne pas s’égarer ; on se couche sans abri, l’oreille toujours ouverte, prêt à repartir ou à combattre au premier signal. Cela dure ainsi un mois, deux mois, quelquefois plus. On revient

  1. Les bataillons des zouaves ont fait jusqu’à vingt et une lieues par jour à la poursuite d’Abd-el-Kader ; c’est encore un peu moins que les volontaires de Zumalacarregui.