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de la fidélité. Cette invincible terreur du joug noir, cette confiance dans le drapeau français sont restés jusqu’à ce jour les deux traits distinctifs de l’esprit public dominicain. Dessalines en venant peu après, à la tête de vingt-deux mille noirs, semer le massacre, le pillage et la dévastation jusqu’aux portes de Santo-Domingo, et le général Ferrand en l’obligeant à la retraite, justifièrent cette double tendance. Le dévouement des Dominicains à la France ne s’est démenti qu’une fois.

Sous l’habile administration de Ferrand l’ancienne audience, naguère la plus désolée des colonies espagnoles, avait rapidement changé d’aspect. Les services publics avaient été organisés, des routes percées, des débouchés extérieurs ouverts ; mais quatre ans s’étaient déjà écoulés sans que la France, absorbée par ses luttes continentales, semblât se souvenir qu’au fond du golfe du Mexique une poignée de citoyens français abandonnés à eux-mêmes entre un ennemi six fois plus nombreux et l’Océan sillonné par les croisières d’un autre ennemi attendaient de la métropole un signe d’encouragement, un gage au moins verbal de protection. Une sourde désaffection commença. Sur ces entrefaites eut lieu l’injuste invasion de l’Espagne par Napoléon, et le noyau castillan de Saint-Domingue se sentit atteint au cœur par cette commotion électrique qui des Pyrénées à Cadix ; de Cadix aux Antilles, des Antilles à la mer Vermeille, soulevait la race espagnole contre nous. Ces deux griefs furent habilement exploités par le gouverneur de Puerto-Rico, et surtout par les agens anglais, qui ne cessaient de montrer aux Dominicains d’un côté une innombrable armée noire prête à profiter, d’un moment à l’autre, pour les envahir, de l’abandon où les laissait la France, de l’autre une escadre britannique décidée à les protéger contre les rancunes de la France, en attendant que l’ancienne mère-patrie fût elle-même en mesure de les secourir. Une insurrection éclata dans le canton de Seybo, et le chef des insurgés, don Juan Sanchez Ramirez, créole espagnol, réunit bientôt autour de lui environ deux mille hommes. Ferrand alla à leur rencontre avec cinq cents hommes, qui, après un combat de quatre heures, furent enveloppés et mis en déroute. Ferrand se brûla la cervelle sur le champ de bataille, et les quelques détachemens français disséminés dans la colonie se replièrent vers Santo-Domingo, place qui n’était protégée que par un mauvais mur d’enceinte, sans fossés ; mais que le général de brigade Barquier se mit en tête de défendre contre les efforts combinés des insurgés et de la croisière anglaise.

Le peu de vivres qui se trouvait dans la place ou que des corsaires étaient parvenus à y jeter fut bientôt épuisé, et on mangea les chaussures, les harnais, les buffleteries, qui finirent par s’épuiser aussi. Il fallut alors faire une sortie et gagner une bataille chaque fois qu’on