Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maintenant l’explication. À part quatre ou cinq exceptions, les plus honorables parmi les desservans haïtiens sont des prêtres expulsés de leur diocèse, et qui viennent chercher fortune dans un pays ou l’absence du lien hiérarchique soustrait leur passé à toute enquête et leur conduite présente à tout contrôle efficace. D’autres ne sont prêtres que de leur façon, en vertu de faux certificats, et on en a vu qui, n’ayant pas eu le temps ou la prévoyance d’apprendre leur nouveau rôle, ne savaient même pas officier.

Si l’érection d’un épiscopat venait mettre fin à cette situation monstrueuse, si l’amnistie (et c’est, je le répète, facile) s’ajoutait aux bienfaits moraux de cette institution si, au lieu et place de scandaleux aventuriers qui, pour faire tolérer leurs désordres, sont souvent les premiers à flatter les fantaisies de Soulouque, un clergé véritable, d’autant plus considéré qu’il aurait pour lui le bénéfice du contraste, venait faire entendre à cette nature brute, mais non dépravée, des conseils d’humanité et de bon sens, il ne faudrait peut-être pas désespérer de la situation haïtienne. Le caractère de Soulouque offre, en effet, des ressources précieuses à toute influence civilisatrice qui serait en position de les utiliser. Je mettrai en première ligne un extrême respect de l’opinion du dehors, respect qui perce dans les naïves contrefaçons de sa majesté noire, qui la rend sensible au-delà de toute expression aux plaisanteries des journaux français et américains, et qui a pu souvent la dominer jusqu’en ses plus sanguinaires emportemens, témoin le succès avec lequel notre consul-général fit vibrer cette corde en 1848[1]. Soulouque a en outre, je crois l’avoir dit, le bon côté des naturels

  1. Les réclamations de différentes natures nous sont adressées au sujet de quelques incidens du massacre de 1848. — L’une de ces réclamations a trait au consul anglais, M. Ussher. M. Ussher, nous dit-on en substance, pouvait être à bon droit impressionné par les scènes sanglantes du 16 avril, car, s’étant rendu au palais au premier signal d’alarme, il avait vu tomber plusieurs généraux de couleur à ses côtés, et n’avait dû lui-même la vie, ainsi que les représentans de la Suède et de Hambourg, qu’à l’intervention du président, qui les fit escorter par ses aides-de-camp jusqu’à ce qu’ils fussent en sûreté. Si M. Ussher s’est retranché plus tard dans une sorte d’abstention, c’est qu’une fois certain de la sollicitude de Soulouque pour faire respecter le domicile des étrangers, il a sa tâche de consul remplie. S’il a demandé une garde, c’est qu’au milieu du relâchement momentané de toute discipline, il pouvait craindre que l’appât de mulâtres à égorger et de marchandises à piller n’attirât la populace sur son hôtel. Si des exécutions ont en lieu enfin dans le voisinage du pavillon britannique, le choix d’un pareil lieu (nous n’avons pas dit le contraire) n’avait rien que de fortuit, et M. Ussher s’en plagnait d’ailleurs très vivement.
    On nous signale en second lien ce fait, que les embarcations de la Danaïde n’attendirent pas, dans la soirée du 16 avril, la déroute des hommes de couleur pour les recueillir. Elles ont commencé ce sauvetage avant le combat et l’ont continué, l’embarcation du commandant Jannin en tête, sous le feu combiné de l’infanterie et de l’artillerie. L’abnégation de nos braves marins était d’autant plus méritoire, qu’ils étaient en forces suffisantes pour faire cesser immédiatement le feu, si un respect scrupuleux du droit des gens ne les avait retenus.
    On nous écrit en troisième lieu que le président ferma sciemment les yeux sur l’évasion de quelques-unes des douze personnes qu’il avait exceptées de l’amnistie d’avril 1848. Cela prouverait une fois de plus que le président valait mieux que son entourage.
    On nous reproche enfin de n’avoir insisté que sur le côté sauvage ou baroque de la situation haïtienne, et d’avoir gardé le silence sur les quelques individualités éclairées et recommandables que l’émigration a laissées dans l’empire de Soulouque. Nous répondrons à cela que nous ne pourrions dire du bien des personnes dont il s’agit sans les désigner aux susceptibilités des piquets, dont nous avons dit tant de mal. Or, ce serait donner une marque fort désagréable de sympathie aux gens que de les faire fusiller.