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Quelques personnes osèrent prendre la chose au mot et exposèrent timidement à sa majesté qu’à moins de promener l’autel de la patrie de prison en prison, les verrous et les murailles de ces prisons seraient un obstacle insurmontable à la poignée de main demandée ; mais, au seul mot d’amnistie, Soulouque manifesta l’effroi courroucé de l’avare qu’on engagerait à dépenser en un jour ses patientes économies d’une année. Depuis lors, disons-le, il a pu d’autant moins se préoccuper de la pensée de clémence que semblait lui dicter sa déférence pour les modes et les précédens monarchiques, qu’il en a le bénéfice sans les charges. On ne donne pas, en effet, au palais un seul repas officiel où Faustin Ier ne se rengorge au dessert devant des toasts comme celui-ci : « A la magnanimité du héros ! à la clémence du grand homme ! » C’est encore ici au dehors qu’il faut chercher une solution, et cette solution, on ne s’en douterait probablement pas, n’est ni à Paris ni à Londres : elle est à Rome, et voici comment.

Bien que la religion catholique ait été long-temps la seule reconnue en Haïti, et bien qu’elle y embrasse encore la presque totalité de la population, aucun lien hiérarchique ne rattache les Haïtiens au reste de l’église. Christophe avait érigé[1], il est vrai, un siége archiépiscopal dans la capitale et des siéges épiscopaux dans les principales villes de son royaume de deux cent mille habitans ; mais on ne fait pas d’évêchés sans évêques, et sa majesté noire, qui, en notifiant son avènement au pape, lui en avait demandé, eut le crève-cœur de ne pas recevoir même une réponse. Sous Boyer, après la reconnaissance de la nationalité haïtienne, des négociations régulières furent cependant ouvertes entre le gouvernement de Port-au-Prince et la cour de Rome, qui envoya sur les lieux, avec pleins pouvoirs pour arrêter les bases d’un concordait, un évêque américain. L’évêque fut trop peu conciliant : il exigeait, entre autres choses, la suppression de l’article du code qui soumet à la loi commune les ecclésiastiques convaincus de tenir des discours séditieux. De son côté, le parti mulâtre, qui, sous le rapport religieux, en était encore aux idées de 1789, se montra moins conciliant encore, posant comme limite extrême de ses concessions le système napoléonien, y compris la reconnaissance du droit du divorce. Bien que les commissaires délégués par Boyer fussent personnellement de meilleur compte que le gros du parti, et bien qu’il y eût parmi eux un négociateur fort habile, M. B. Ardouin, la conférence tourna bientôt à l’aigre. Un négrophile très connu acheva de gâter les choses, écrivant lettres sur lettres au gouvernement haïtien pour lui démontrer clair comme le jour qu’il allait se mettre dans la gueule du jésuitisme. Bref, on ne

  1. Edit du 2 avril 1811.