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l’art ne joue pas un grand rôle. Le machiniste et le décorateur dominent le poète. Toutefois il faut lui savoir gré de leur avoir préparé un programme ingénieux.

L’épilogue des Contes d’Hoffmann est rédigé comme la moralité des fables de Planude, connues généralement sous le nom de fables d’Ésope. Il est impossible de se méprendre sur l’intention des auteurs, car cet épilogue ne laisse rien à deviner. Si les trois récits mis en action n’offraient pas par eux-mêmes un sens assez précis, la moralité dialoguée que MM. Barbier et Carré ont placée dans la bouche, d’Hoffmann et de son ami Frédéric dissiperait tous nos doutes. La clarté est, en toute occasion, une qualité fort précieuse, pourtant je ne crois pas que la poésie dramatique puisse jamais s’accommoder d’une conclusion énoncée sous forme de théorème. Il faut laisser aux mathématiques, à la philosophie cette manière de présenter la vérité. — Le style des Conte d’Hoffmann mérite plus d’un reproche. Le mélange de la prose et des vers produit un fâcheux effet, le passage de la forme prosaïque à la forme poétique, n’est presque jamais motivé. Si les auteurs ont cru imiter Shakspeare, ils se sont trompés, car dans Shakspeare le passage de la prose au vers blanc, et du vers banc au vers rimé, s’explique par la nature même des pensées. La proie appartient au dialogue familier, le vers blanc au dialogue soutenu, le vers rimé au sentiment purement lyrique : or MM. Barbier et Carré n’ont tenu aucun compte de cette distinction. Ce n’est pas tout : on trouve çà, et là des images, des comparaisons qui accusent une singulière ignorance. Je ne demande pas aux poètes de parcourir le cercle entier des connaissances humaines, je n’ai pas le droit d’afficher une telle exigence ; mais je ne leur pardonne pas de parler des choses dont ils ne savent pas le premier mot. Quand Frédéric dit à Hoffmann

Le prisme de l’amour voile encore tes yeux,


il énonce une pensée parfaitement ridicule. Le prisme, qui sert à décomposer la lumière, n’a jamais voilé les yeux de personne. Aujourd’hui que les notions scientifiques sont devenues populaires, il n’est pas permis au dernier des rhéteurs d’employer une image aussi fausse. Ailleurs, pour exprimer la beauté singulière de la voix d’Antonia, les auteurs disent que le violon de Krespel chantait à l’unisson avec cette voix divine. C’est à coup sûr un étrange compliment adressé soit à Krespel, soit à Antonio. Le violon ne chante la partie écrite pour la voix que lorsqu’il s’agit d’enseigner une mélodie au chanteur qui ne sait pas lire la musique ; ce qui n’est pas rare, même aujourd’hui, parmi les plus célèbres virtuoses. En toute autre occasion, il accompagne et ne joue pas à l’unisson. L’enseignement de la musique est de nos jours tellement répandu, que cette erreur n’a pu passer inaperçue. Enfin MM. Barbier et Carré paraissent croire que les corps diaphanes n’ont pas de reflet, et je pense que leur conviction sera difficilement partagée. S’ils veulent parler de l’air que nous respirons, diaphane par excellence à la bonne heure ; mais qu’ils placent devant une glace un morceau de cristal de roche, et ils verront si le cristal n’a pas de reflet. Je m’arrête, car le lecteur m’accuserait sans doute de pédantisme, et pourtant, sans cette analyse minutieuse, il est impossible d’apprécier impartialement