Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si toutefois un pareil chaos mérite le nom de poème ? L’histoire et la satire sont-elles réduites au silence et convaincues de calomnie ? Je ne veux pas le nier, il y a dans cet entassement quelque chose qui singe la puissance ; mais, après quatre, heures d’une attention soutenue, le spectateur se demande en vain ce qu’il a vu, ce qu’il a entendu. Il interroge inutilement ses souvenirs, et ne trouve au fond de son esprit qu’un pêle-mêle tumultueux d’invectives et de déclamations. Était-ce bien la peine de lancer la fantaisie à travers champs, la bride sur le cou, pour demeurer si loin de la réalité, pour inventer, avec l’aide du machiniste et du décorateur, une série de scènes sans émotion, sans attendrissement, sans grandeur, tandis que l’histoire, l’histoire toute nue, nous offre un poème tout fait, des personnages dont la conduite et le langage semblent disposés par un artiste souverain ?

Messaline, fatiguée de meurtres et de débauches, après avoir envoyé au supplice les Romains qui l’ont dédaignée, après avoir établi dans son palais l’autel de l’adultère, après avoir forcé les patriciens les plus illustres à venir dans la maison même de César assister à leur déshonneur, cède au désir de Silius ; qui a répudié sa femme pour s’abandonner plus librement à la passion de l’impératrice elle consent à l’épouser publiquement à la face de Rome, elle proclame son divorce, et choisit dans le sénat des témoins qui signent son nouvel acte de mariage comme pour légitimer les enfans qui naîtront de l’adultère. Un prêtre docile reçoit et bénit son nouveau serment. Elle a profité de l’absence de Claude, qui est allé à Ostie, à six lieues de Rome, offrir un sacrifice.

Cependant Calliste, Pallas et Narcisse, qui gouvernent l’empereur, s’effraient de ce nouveau crime et se demandent, ce qu’ils doivent faire. Avertiront-il Claude, ou bien engageront-ils Messaline à répudier l’amant qu’elle vient d’épouser ? Rien n’a manqué à la solennité de ce mariage. Messaline s’est couchée près de Silius, devant la table du banquet, et lui a prodigué ses baisers en présence des convives ; elle a passé la nuit dans ses bras avec la sécurité d’une épouse qui n’a rien à craindre du ciel ni des hommes. À quoi se résoudre ? Claude, malgré sa faiblesse, est prompt à la colère ; mais, si Messaline trouve moyen de lui parler, ses dénonciateurs sont perdus et peuvent dire adieu à la vie. Calliste et Pallas redoutent la vengeance de Messaline, et se résignent à l’inaction ; Narcisse persiste seul à dénoncer l’impératrice, et regarde en pitié la lâcheté de ces deux hommes qu’il voulait d’abord associer à son entreprise. Qu’ils se taisent, puisqu’ils ont peur : il parlera et saura bien fermer l’oreille de son maître à la voix de l’impératrice, fermer ses yeux à la beauté de cette sirène sanguinaire. Son plan est arrêté, aucune menace ne pourra le déranger.

Claude reçoit familièrement deux courtisanes, Calpurnie et Cléopâtre. C’est à elles que Narcisse a résolu de s’adresser pour perdre Messaline. Devant elles, la porte de l’empereur ne demeure jamais fermée. Qu’elles aillent à Ostie, qu’elles lui révèlent son déshonneur, qu’elles accusent l’épouse adultère, et leur crédit grandira. Narcisse ne ménage ni les présens, ni les promesses comment ne serait-il pas écouté ? Calpurnie, docile à ses conséils, court se jeter aux pieds de Claude, et lui apprend le mariage de Messaline avec Silius. Claude épouvanté refuse d’ajouter foi à cette étrange nouvelle. Calpurnie invoque le témoignage de Cléopâtre, qui confirme sa déclaration. Narcisse parait enfin et