des serruriers, des ébénistes, des cordonniers, surtout des coiffeurs et des marchandes de mode, enfans pour la plupart de nos grandes capitales. Bon nombre y arrivaient animés de l’esprit qui depuis inspira les ateliers nationaux ; mais le traité du 29 octobre, en garantissant d’une manière plus spéciale nos compatriotes, amena tout à coup de France une population bien autrement active, bien autrement énergique et morale : les émigrans des provinces basques. Ce n’était pas une race amoindrie par la vie d’atelier, corrompue par des doctrines dégradantes, ennemie de l’ordre, qui venait pour spéculer sur les faiblesses ou les vices des créoles ; c’étaient des hommes trempés aux plus durs labeurs de nos champs, fidèles à la foi donnée et décidés à demander au travail la vie et le bien être. Sans autres capitaux que leurs bras, ils ont rendu la terre plus féconde et imprimé à l’industrie locale un essor inconnu jusqu’alors. Le profit qu’ils en tirent, ils le partagent avec leurs familles restées derrière eux au village. Répandus dans la campagne, ils cultivent les jardins, exploitent les fermes voisines de la ville, les chacras, et, mêlés aux gauchos avec lesquels ils luttent d’adresse équestre, ils servent dans les estancias en qualité de domadores (dompteurs) et de lazadores, dans les sataderos dont ils sont les plus habiles péons et matadores, dans toutes les industries qui tiennent aux travaux des pampas. Ils forment le lien qui commence à rattacher les pâtres de la pampa à la civilisation de l’Europe.
On devine aisément quels rôles divers ont joués dans le pays ces deux classes de Français. Les premiers déblatèrent sans cesse contre l’autorité, soutiennent l’émeute, figurent dans toutes les prises d’armes : ils ont maintenu jusqu’au bout la légion étrangère. Les autres, débarqués au hasard à Montevideo, obligés de s’enrôler pour ne pas mourir de faim, ont formé d’abord le bataillon basque ; mais bientôt, honteux de vivre de ce pain de l’aumône, dès qu’ils surent que les provinces argentines leur offraient du travail, ils se sont transportés en masse à Buenos-Ayres.
Sur les deux rives de la Plata, le nombre des Français dépasse trente mille aujourd’hui : cinq mille environ dans l’État Oriental ; dont la moitié à Montevideo et vingt-six mille dans la confédération. Parmi ces derniers, on peut compter seize mille Basques en ce moment. Ces Basques aiment à se réunir, à vivre entre eux ; ils forment comme des colonies à part où ils transportent le souvenir et les plus douces illusions de la patrie, qu’ils se promettent bien de revoir.
À une lieue vers le sud de Buenos-Ayres coule un ruisseau profond qui se jette dans la Plata et qu’on nomme le Riachuelo. Sur ses bords sont situés les saladeros ; c’est à son embouchure qu’a lieu l’embarquement des produits du pays : cuirs verts, cuirs secs et autres débris d’animaux. Cette double industrie a donné naissance à deux centres