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argentins versèrent dans ces ames sympathiques toutes les fureurs dont ils étaient animés. Dans leurs journaux, dans leurs déclamations en plein vent sur le débarcadère du port, où la foule se réunissait, c’était un concert d’exécrations contre l’affreux tyran. Ces déclamations haineuses furent répétées avec une telle persistance, qu’on finit par y croire, et quand M. l’amiral de Mackau arriva dans la Plata pour traiter avec Buenos, Ayres, ce ne fut pas sans un certain trouble de cœur qu’il envoya au général Rosas un de ses aides-de-camp en parlementaire : on lui présageait le sort de Régulus à Carthage.

Cependant Oribe savait que le sentiment national portait Rosas et repoussait les unitaires ; il refusa de s’associer à une politique qui ne pouvait qu’attirer des malheurs sur son pays. En 1838, Argentins et Français le forcèrent de sortir de Montevideo quelques mois avant le terme légal de sa présidence, il se retira à Buenos-Ayres. Rivera prit sa place. Entre Oribe et Rivera, il y a toute la différence de l’estanciero au gaucho, de l’homme d’état au partisan. Le gaucho Rivera, qui trouvait l’occasion d’agiter le pays, de mener, comme aux beaux jours d’Artigas, la grande vie vagabonde, insoucieuse et pillarde, si chère aux pâtres et aux bouviers ses compadres, ne put résister. Dût son pays y périr, il se fit l’instrument des proscrits argentins.

Alors fut imaginée la fameuse ligue unitaire, qui, embrassant toutes les provinces argentines, devait étreindre Buenos-Avres et y étouffer Rosas. On sait quel rôle nous jouâmes dans cette fantaisie politique. À ces trames si habilement tissues par la haine, une seule chose manqua : le sentiment national. Nous ne répéterons pas ici comment M. l’amiral de Mackau sut en dégager l’intérêt français et conclure avec le gouverneur de Buenos-Ayres un traité avantageux pour notre pays, comment aussi le nuage formé contre Rosas avec tant de fracas à Montevideo alla s’évanouir comme un songe dans la plaine de Buenos-Ayres. Que Montevideo soit la capitale d’un état neutre et indépendant également en paix avec le Brésil et la confédération, que cet état se développe dans des conditions pacifiques, c’est la loi même de son existence, le général Rosas n’y peut faire obstacle ; mais que Montevideo, aux mains des proscrits argentins, devienne un centre de conjurations où la tête de Rosas soit mise à prix, un foyer de guerre civile et d’invasion étrangère sans cesse suspendues sur les provinces argentines, voilà ce que le général Rosas ne peut supporter. Les unitaires lui fournirent l’occasion d’envahir la Bande Orientale, sans violer le traité fondamental de 1828, en s’appuyant sur le droit de légitime défense. En 1842, Rivera, avec une bande de proscrits et de gauchos orientaux, porta la guerre sur le territoire argentin. Rosas ne se fit pas attendre. Oribe, que soutenait une armée de la confédération, courut à l’ennemi, le battit à l’Arroyo-Grande, le rejeta de l’autre côté de l’Uruguay, passa